Diabète et méchant

Tout espérer, ne rien attendre.

DIFFÉRENCES

Traversée du désert en solitaireJe suis tragiquement un malade d’apparence bien portant.

Dès 1984, mon premier endocrinologue me dit que ce sera comme porter des lunettes et que je m’y habituerai très bien.

C’est effectivement le cas mais je n’ai jamais pu changer de monture.

Après plus de 75000 piqûres et plus de 100000 trous dans les doigts, rien n’y fait.

Alternant hypo « tenues » et hyper « tendues » autant que vice et versa, des irritations soudaines ou de grandes fatigues, sans compter une langue de chameau et des mictions en veux-tu en voilà, chaque jour en sa compagnie me laisse coi.

Tout aussi héroïque que fourbe, il est d’une imprévisibilité qui n’a de cesse de me préoccuper et de me surprendre depuis déjà près de 36 ans.

Tenu de composer avec lui tant bien que mal, le temps et les difficultés croissantes de notre colocation douce amère font que je n’ai pas d’autre choix que de vous le présenter.

On l’appelle Diabète.

Cohabiter avec lui signifie, en pratique, être comme dépositaire d’un sempiternel vouloir mais ne pas pouvoir.

C’est comme si pour faire corps, c’est-à-dire respecter mon intégrité et prolonger mon existence, il fallait dès son annonce souscrire au respect d’un certain nombre de devoirs mais aussi et surtout, d’interdits.

Constamment.

Tant pour prévenir que pour guérir.

Comme un subtil équilibre entre une sagesse contrainte et une frustration assumée qui se digéreraient avec le temps.

Cette vision toute personnelle me vaut souvent à tort d’être perçu par des proches bien intentionnés comme un acteur et non pas une victime de ma santé.

Mais le plus souvent il n’en est rien car je suis en représentation et feins pour partie cette éreintante attention de tous les instants portée à ma personne. Comme beaucoup je crois. Car celle-ci fluctue, tout comme Lui.

Cet espiègle compagnon ne cesse de me tenter de lui laisser du mou pour me rassurer, ne pas avoir à entreprendre la saignée qui permettra de le pointer du doigt.

C’est tellement plus facile de faire parfois semblant d’être bien parce qu’on ne veut pas se plaindre, de paraître comme tout le monde.

En prenant de l’âge, je réalise combien il me rend plus faillible et par là-même plus lucide et conscient des enjeux.

C’est parce qu’il engage ma sécurité à chaque instant que je sais et pense maintenant ne pas devoir faire prendre de risques à des tiers.

Ainsi, jeune adolescent, je n’ai pas souhaité et je n’aurais pas pu ni voulu devenir pompier, gendarme ou pilote d’avion.

De même qu’initié trop tôt à l’exploration de l’ingénierie glycémique, je n’ai pas désiré non plus devenir ingénieur des mines, des ponts et des forêts.

Cela m’apparaîtrait désormais comme une fausse promesse si on m’avait suggéré que je pourrais l’être un jour.

C’est pourtant ce que l’on fait aujourd’hui.

Je suis diabétique.

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  1. Jack D

    Un bien beau texte qui en dit long sur la tragédie de cette maladie trop souvent banalisée, maladie silencieuse au long cours qu’il faut apprivoiser, j’entends aussi le regard des autres qui est compliqué à gérer, j’en suis bien conscient ayant moi-même une Affection Longue Durée qui me pose souvent des problèmes quant à l’autre.

    • Tout est dit et c’est tout à fait ce que je vis depuis 1974 à l’age de 13 ans !
      47 ans de cohabitation avec ce colocataire indésirable qui s’est installé dans ma vie sans prévenir.
      J’alterne hypos et hypers, moral au plus bas, fatigue quotidienne Je sens le poids des ans sur mes épaules et je suis en mode survie.
      Qui viendra nous délivrer de cet impasse ? Et c’est là que Tout espérer ne rien attendre prend malheureusement tout son sens !

      • Bertrand HAYART

        Dominique ,
        Le simple fait que vous écriviez ici témoigne de ce que vous avez encore en vous des ressources .
        C’est assez génial de voir que les ressentis sont assez semblables .
        Nous sommes seuls maîtres à bord , maintenons le cap 🙂 !

  2. Bertrand Burgalat

    Merci Bertrand pour ce texte passionnant et subtil.

  3. Thomas

    C’est fou le nombre de médecins qui osent dire des bêtises de ce genre: on ne s’habitue jamais à cette maladie car elle nous attend toujours au tournant.
    En fait il devrait non pas changer de métier mais changer de lunettes comme il dit.
    Ce médecin ne fait qu’entretenir l’idée que c’est une maladie facile, on fait a piqure et hop-là !
    A propos d’affection de longue durée, j’emploierais plutôt le mot maladie à durée indéterminée tant on ne voit pas le bout du chemin ou du cauchemar dirais-je plutôt.
    Justement c’est ce que l’on cherche tous: un avenir plus radieux celui qu’on m’avait promis il y a 44 ans (pompes implantables) et qui n’est jamais venu ou plutôt c’est le diabète qui s’est installé comme un squatteur.
    Si je pouvais au moins m’en débarrasser j’en serais le 1er content, je n’attend que ça, un peu comme dans le désert des Tartares de Dino Buzatti dont j’avais lu le livre en 1977…44 ans déjà à attendre un miracle qui ne viendra jamais…

    • Bertrand HAYART

      Thomas ,
      J’imagine que faire prendre conscience à un enfant des enjeux d’une telle pathologie n’est pas chose facile pour un médecin qui prend le pari de positiver en simplifiant .
      Je mentirais si je vous disais que je n’y ai pas un petit peu cru !
      Tout attendre de soi est effectivement épuisant , vous avez raison , mais vous pouvez y trouver peut être une certaine force d’âme ou de caractère …
      Dans tous les cas , même si vous n’avez malheureusement pas cette pompe dont vous rêviez , nous aurons au moins eu la chance de connaître des améliorations de traitement assez fantastiques 🙂
      Tenez bon !

  4. Thomas

    Bertrand,
    Je n’attends plus rien du tout car cette maladie m’épuise chaque jour et j’ai du mal à croire à tout ce qui est dit, notamment dans les médias (où par ailleurs on est souvent oublié sauf pour nous faire croire à des mirages de je ne sais quel médecin).
    Pour ma part, mes journées sont un chemin de croix où je dois me ressucrer sans cesse, aller chez tel ou tel spécialiste (je sucre quasiment comme cela tous mes RTT façon de dire), j’ai du mal être au rythme de tous le monde, de mes collègues et surtout la comparaison que l’on fait entre des diabétiques jeunes et bien portants aux diabétiques un peu moins jeunes que l’on infantilise lors des journée d’hospitalisation et à qui on leur dit d’avoir 3 bonbons sur soit comme il y a 45 ans, de faire beaucoup de sport, de faire attention à ses pieds, ses yeux et tout ira bien, on peut vivre normalement.
    Or non seulement j’ai 10 sucres dans la poche mais faire du sport est très difficile pour moi car je vis très mal mes hypogycémies car elles sont omniprésentes. Pour le reste, je n’ai pas de vie depuis des années: je ne conduis pas (prenez le train me dit on à l’hôpital), je n’ai plus de relations sociales ou amoureuse et je ne pars quasiment plus en voyages moi qui aimait partir (paradoxalement avant la pompe) car j’ai toujours eu la sensation d’avoir un boulet au pied avec ce diabète.
    Moi qui rêvait tellement de belles choses pour ma futur retraite, j’ai du mal à croire à toutes ces améliorations comme vous dites car les hypos sont les mêmes qu’il y a 40 ans et tout ce que l’on dit sur le diabète n’est pas sans me rappeler un sketch des Montys Pythons où tout le monde s’extasie autant pour une machine qui fait ping que pour le reste (pour garder une note d’humour: https://www.youtube.com/watch?v=_YruT2ROEUc)

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