Cela faisait quelques mois que je ne reconnaissais plus ma fille.
Elle qui avait toujours été une enfant facile, aimante et profondément gentille passait du rire aux larmes en quelques secondes, prenait la mouche sans raison et se réfugiait dans un mutisme incompréhensible. Elle végétait et rien ne semblait la faire de sortir de cet état. Je mettais cela sur le compte de l’entrée au collège et des changements dus à l’adolescence.
Vinrent alors les vacances d’été, la colonie et le séjour chez ses grands-parents.
Lorsque je la récupérai, elle avait le regard vide, les joues creuses, les hanches saillantes, elle avait perdu près de 4 kilos. Je soupçonnais d’abord un problème d’anorexie et me disais qu’une amie de la colonie lui avait peut-être conseillé de boire des quantités d’eau durant les repas pour ne pas grossir. Je la questionnais, mais sans succès et plus le temps passait, plus elle s’enfonçait dans une sorte de brouillard mental.
Allez savoir pourquoi, le jour de sa rentrée en 5ème, après l’avoir vue ingurgiter 2 grands verres d’eau au motif d’être toujours assoiffée, je décidais de lui faire faire un test urinaire avec une bandelette. En l’espace de 5 secondes, le test marquait positif pour l’acétone et le sucre. Quelques clics sur internet suffirent à confirmer le diagnostic que je redoutais plus que tout pour m’y être intéressée et inquiétée quelques années plus tôt pour mon fils.
Penser à elle, surtout ne pas l’affoler, attendre une confirmation par prise de sang et prier pour que le test se trompe. Ne pas montrer les premiers signes d’angoisse, de désespoir et d’impuissance à pouvoir changer quoi que ce soit à cette situation.
Le lendemain le coup de téléphone du laboratoire ne tarde pas. Le médecin hésite, ne reconnaît pas d’emblée les signes de l’acidocétose mais me rappelle néanmoins quelques minutes plus tard pour me dire finalement de l’emmener aux urgences. Elle ne sait pas encore. Elle sort à peine du collège avec ses amies, épuisée, à bout de forces mais pour quelques instants encore insouciante et ignorante de ce qui va lui tomber dessus avec une violence inouïe. Je pars à sa rencontre, la trouve mais ne parviens plus à stade à retenir mes larmes. Elle s’inquiète pour moi, ne veut pas me voir pleurer, cherche à me consoler. Comment aurait-elle pu alors envisager tout ce que cette maladie allait changer dans sa vie ?
Nous arrivons aux urgences pédiatriques. Le service est particulièrement bondé ce jour-là. Peu de mots sont échangés, il a suffi que je tende les résultats d’analyses pour qu’une infirmière nous emmène dans une salle pour effectuer les premiers examens. Les internes et médecins se succèdent la mine grave et désolée. La suite est sans surprise, le diagnostic sans appel. Sans attendre, elle se retrouve branchée à une machine qui lui délivre de l’insuline, perfusée pour être réhydratée et ses doigts massacrés tous les 1/4 d’heures à grands coups de lancettes pour vérifier si elle est bien réceptive au traitement. Là encore, c’est à moi qu’elle pense et non à elle. Elle a tout juste 12 ans et pense encore que rien ne peut lui arriver puisque ses parents sont là pour la protéger.
Anne passera 10 jours dans le service pour adolescents, 10 jours pendant lesquels nous avons essayé de nous préparer à affronter cette nouvelle vie. Nous enchaînons les cours sur le diabète de type 1 et les ateliers de diététique dans un état de stupeur et d’hébétude. Le discours des médecins est bien rôdé et se veut rassurant, « la recherche avance, le pancréas artificiel est pour demain, les progrès sont là ». Nous nous raccrochons à n’importe quoi pour garder espoir mais nous rendons vite compte à travers nos propres recherches que rien ne bouge vraiment depuis plus de 40 ans, c’est une nouvelle claque.
Le retour à la maison est violent, Anne émerge de son brouillard mental dû à tous ces mois passés en hyperglycémie et commence tout juste à comprendre ce que sa maladie va impliquer pour elle. Elle se rebelle, résiste, pleure, refuse, en vain… La théorie du diabète est effrayante mais sa réalité l’est plus encore. La solitude et le sentiment d’incompréhension font désormais partie de notre quotidien.
Nous écoutons la chanson de Sia « We’ll be found » et y trouvons un écho particulier à notre situation. Nous pleurons ensemble en nous disant que nous allons nous en sortir mais que le chemin ou plutôt le combat sera long. Car c’est bien de combats qu’il s’agit. Un combat contre la maladie qui s’obstine à ne pas réagir comme on le pense, un combat contre certains médecins qui nous infantilisent et restent figés sur de vieux préceptes diététiques dépassés, un combat contre l’entourage qui ne mesure pas et minimise les difficultés rencontrées au quotidien, un combat contre les laboratoires qui refusent parfois d’assumer leur responsabilité quand il s’agit de remplacer des dispositifs médicaux, un combat contre l’ignorance et l’amalgame, « c’est ça de manger trop de sucre », un combat contre la législation qui plus tard lui interdira peut-être le choix d’un métier, mais surtout un combat pour la préserver elle, pour qu’elle ne grandisse pas trop vite, pour qu’elle reste malgré toutes ces épreuves une jeune fille insouciante et pleine de vie.
Magali, maman d’une jeune fille de 13 ans diabétique depuis le mois de septembre 2016
Anne Durand
Je comprends tellement… Ma fille, Marie, Dt1 depuis 4 ans, elle avait 9 ans. Même révolte, même prostration… Et puis, heureusement, la vie reprend son cours ; oui, l’insouciance disparaît, mais on se redécouvre avec tant d’intensité…
Viard Patricia
Bravo pour ce témoignage plus qu’émouvant !
Wil
Bonsoir. Un très beau témoignage qui m’évoque en effet les souvenirs malheureux de l’apparition de cette maladie chez ma fille il y a plus de trois ans… Bon courage à vous et tout plein de belles choses à votre fille, la vie ne s’arrête pas elle change dans l’insouciance…
Laetitia Schmitz
Bonjour,
J’ai également vécu la même chose il y a 3 ans avec mon fils. Quand je lis votre texte j’en pleure encore.
Je crois qu’il impératif que les parents d’enfants diabétique s’entraident et se soutiennent, partagent leurs expériences. Moi j’ai eu la chance d’avoir dans mon entourage une maman d’enfant diabétique qui m’a appelée lorsque j’étais encore à l’hôpital avec mon fils, elle m’a vraiment rassurée, ça m’a fait beaucoup de bien.
Moi je suis à Bruxelles mais je serais prête à rencontrer d’autres parents à qui ça vient d’arriver pour leur parler de la vie avec la maladie chez un ado et leur dire que ça peut bien se passer.
Je ne sais pas bien comment faire …..
En tout cas je vous souhaite beaucoup de courage mais je vous assure que mon fils vit maintenant très bien avec ça du haut de ses 17 ans
Bien à vous
borlet mclaire
M. Claire
Très beau témoignage que me replonge 18 ans en arrière. J’ai vécu la même expérience avec mon fils (15 ans à l’époque). Un mot important « insouciance », fini l’insouciance…
On vit « bien » avec cette maladie, mais si une solution rend aux diabétiques leur part d’insouciance, alors oui ils vivront bien !
Ceci dit ayez des projets, c’est plus difficile mais vous réussirez, nous les proches sommes fiers de vous. belle année 2018.