Dimanche 25 mars après-midi, nous nous retrouverons à Paris autour de Claude Colas, diabétologue, fondatrice de l’association OSE (ose.asso.fr), qui nous parlera Diabète de type 1 et hérédité. Inscriptions à contact@diabeteetmechant.org.
Mois : février 2018
Jeudi 22 mars nous nous retrouverons à Nantes autour d’une des fondatrices de notre association, Juliette de Salle, et de son livre SangSucre (www.sangsucre.blogspot.fr).
Rendez-vous au Plateau25, 25 rue des Rochettes, 44000 Nantes (quartier de la Manufacture), http://leplateau25.fr, de 17h à 20h pour l’exposition, et de 20h à 22h pour la rencontre proprement dite.
Comme chaque dernier dimanche du mois, nous nous retrouvons à Paris, cette fois-ci à proximité du métro Monge (pour s’inscrire, nous écrire à contact@diabeteetmechant.org). Dimanche 25 février nous recevrons Jean-Charles Vauthier, DT1 et médecin généraliste, qui nous parlera « Régime Low Carb et sport extrême« .
Par définition, le patient est un individu qui se trouve atteint d’un trouble ou d’une pathologie, de nature organique ou mentale. On l’appelle aussi très souvent « le malade ». Vous pourriez cependant immédiatement m’objecter que c’est-un-peu-court-jeune-homme, et qu’on pourrait dire – Oh! Dieu! – bien des choses en somme. En effet. D’ailleurs, ces choses, n’importe quel patient, notamment atteint de maladie chronique, pourrait les dire. Et le diabétique de type 1 et ses proches ne sont certainement pas dénués d’une certaine expertise sur ce sujet.
À l’occasion d’un précédent article, j’avais essayé de vous présenter les analyses de Ruwen Ogien sur le rôle social du patient, et plus précisément sur celui du patient « chronique » et/ou incurable. Je souhaite aujourd’hui poursuivre la réflexion, et notamment l’idée qu’outre la réalité de la pathologie qui l’affecte, ce qui définit un patient comme tel a beaucoup à voir avec des attentes et des représentations sociales auxquelles il lui est très difficile d’échapper, et qu’il est même, dans une large mesure, obligé de faire siennes. Rien de révolutionnaire là-dedans, j’en conviens. Mais si on reconnaît que les professionnels de santé, notamment les médecins, sont soumis à un régime d’identification à peu près du même ordre (j’espère y revenir dans un prochain article), je crois qu’on peut mieux comprendre à quel type d’obstacles assez considérables se heurtent les tentatives qui sont actuellement menées pour faire de la relation de soin, une relation égalitaire ou de « partenariat » entre patients et équipe soignante.
« Être un patient », dans une large mesure, cela renvoie à un certain nombre de représentations et de croyances socialement partagées. À partir du moment où il se découvre atteint d’une maladie, en particulier d’une maladie chronique, l’individu est confronté à un tout nouveau réseau de normes, de jugements de valeur et de recommandations relatives à ce qu’il faut faire ou ne pas faire, voire penser ou ne pas penser. Comme la personne qui un beau jour s’aperçoit qu’elle fait désormais partie des « personnes âgées », sa condition lui assigne tout un tas de propriétés, d’attitudes et même parfois de traits de caractère. Or il arrive que, a priori, certains d’entre eux ne lui semblent pas du tout lui correspondre. C’est au moment où quelqu’un se lève pour me céder sa place alors que j’entre dans le bus, que je comprends qu’on me prend pour une personne âgée, peu importe que je revienne tout juste du marathon de New-York.
De la même manière, qui dit « patient » dit « malade », « traitement », « dépendant », « hôpital », « diminué », « malchanceux », « fragile ». Sa résistance, voire son refus tout net d’accepter cette définition de lui-même seront souvent suspectées de n’être qu’une forme plus ou moins consciente de déni, qu’il lui faudra ultimement parvenir à surmonter. Et il se peut tout à fait que ce soit effectivement parfois le cas. Une des choses qu’on attend du patient, et qui est certainement l’une des plus difficiles, c’est qu’il accepte la maladie. La plupart du temps, il ne sait cependant ni ce que cela veut dire exactement, ni comment y parvenir.
En attendant, le fait de se comporter comme il sent qu’on attend de lui qu’il se comporte, épargne au désormais « patient » bien des efforts et des remontrances. Aujourd’hui encore, après bientôt trente ans de carrière dans la maladie chronique, je ne prends jamais de dessert, ou seulement en proportion homéopathique, quand je mange avec des amis. Cela m’évite les réactions d’incompréhension et de réprobation (« tu es sûre que tu peux manger ça ? tu n’es pas censée être diabétique ? »). Plus ridicule : j’ai toujours atrocement honte quand quelqu’un entre dans mon bureau et me surprend en train de manger des biscuits (horreur !), en dehors des repas (infamie !!), et alors que je ne suis même pas en hypo (ignominie !!!). Bref, Aude, 6 ans, avec des couettes, prise en flag’ la main dans la boîte de chocolats.
On franchit un pas de plus dans la maîtrise du rôle de patient à partir du moment où on intériorise suffisamment ce type de représentations et de croyances, et qu’on se met à son tour à juger le comportement des autres malades. Dans les forums de discussion de patients DT1, il y a ainsi toujours quelqu’un – mais il en suffit d’un – pour faire remarquer à la personne qui vient exprimer ses difficultés ou sa détresse, que si elle s’y prenait autrement, mieux, c’est-à-dire en le prenant pour exemple, elle s’en sortirait mieux. Fort heureusement, tout le monde n’en arrive pas là. En revanche, il me semble inévitable que l’identité de patient, qui s’était d’abord imposée à nous comme un vêtement mal coupé, pas à notre taille, qui nous gratte et nous gêne dans nos mouvements, finisse par devenir une seconde peau.
Un philosophe que j’aime beaucoup, Ian Hacking, explique de manière très convaincante comment le fait de se voir « catégoriser » ou ranger dans une espèce sociale – par exemple celle de femme battue, ou de jeune de banlieue – incite, pour ne pas dire contraint, les individus à rentrer effectivement dans le rôle correspondant, même si en première instance, il n’était pas du tout taillé pour eux. Alors, les normes qui définissent ces rôles finissent par être incarnées et, par conséquent, validées. Il ne suffit pas de la maladie pour faire d’un homme ou d’une femme un(e) malade ou un(e) patient(e), il faut encore qu’ils le deviennent, et pour cela ils doivent d’abord apprendre à se conduire comme tels, à parler comme tels, et finalement à penser comme tels (« Oh, le diabète, c’est juste un peu contraignant », « Non merci, pas de dessert – de toute façon je n’ai jamais été très ‘sucre’, et puis tout le monde sait maintenant que c’est super mauvais pour la santé », « je contrôle la maladie, ce n’est pas la maladie qui me contrôle »…). J’évoquais plus haut la question de savoir ce que cela veut dire, au juste, « accepter la maladie ». J’avoue que je crains que cela ne soit rien d’autre que cela : enfiler le costume social de patient et jouer son rôle avec l’espoir qu’on finira par y croire un jour, comme Juliette s’habille et se maquille avant d’entrer en scène, et se prépare à embrasser Roméo chaque soir de représentation – oui, même quand il vient de manger des anchois.
Rien ne m’a plus directement frappée, au sujet de ce que c’est, au juste, qu’être un patient, qu’une récente conversation que j’ai eue avec une amie neurologue, spécialisée dans la prise en charge de patients migraineux. Dans le cadre des (nombreuses) initiatives qu’elle voudrait mettre en place, elle se propose de monter une association de patients qui ferait référence et autorité dans tout le pays, afin entre autres, de constituer une base de données fiable et suffisamment riche pour fonder de nouvelles pratiques thérapeutiques, éducatives, et éventuellement politiques, au moins en matière de santé. En l’entendant m’exposer son projet, je n’ai pas pu m’empêcher de m’étonner, et de lui demander dans quelle mesure il n’y avait pas quelque chose de bizarre, voire de choquant, dans l’idée qu’un médecin crée une association de patients. Est-ce que cela ne revient pas à leur confisquer, une fois encore, la parole ? À ceci, elle a d’abord répondu que, souffrant elle-même de migraines, elle était une patiente ; et ensuite, qu’elle intègrerait naturellement des patients (avec quel statut et quelles responsabilités ? nous n’en avons pas parlé).
Tout en l’écoutant sagement (c’est tout de même un médecin), j’ai senti se lever en moi comme un petit vent de révolte. Elle, une patiente, vraiment ? En un sens, évidemment que oui : c’est un fait qu’elle souffre de migraines et que, au regard de tous les standards médicaux, elle est bien une patiente migraineuse. Mais être patient, au sens où j’ai l’impression de l’être, pensais-je, c’est autre chose. Autre chose…mais quoi au juste ? Plus précisément, pourquoi un médecin atteint d’une pathologie parfaitement avérée ne pourrait-il pas être un patient justement atteint de cette pathologie, et à ce titre, monter puis diriger de manière parfaitement légitime une association de patient ? Est-ce qu’il ne serait justement pas le mieux placé pour cela ?
En y réfléchissant, j’ai pris la mesure de tout ce que, en dehors d’une réalité physiologique, implique le fait d’être un patient. La première chose qui m’est venue en tête, c’est le fait qu’être un patient, c’est entretenir tout un tas de relations avec une catégorie sociale et professionnelle bien spécifique, qui est celle des soignants. C’est devoir fréquenter des gens et des lieux que ne fréquentent pas les bien-portants, du moins pas avec la même régularité et, dans le cas des maladies chroniques, pas sur une si longue période de temps. Certes, mon amie fréquente encore plus les hôpitaux que moi, et pour cause : c’est son lieu de travail. Mais à ma connaissance du moins, elle ne s’y rend pas pour demander de l’aide ou des services, rendre des comptes sur la manière dont elle s’occupe ou non de sa santé, et, à la fin d’une consultation, accepter tacitement de s’en remettre, voire de se soumettre, à l’autorité d’un tiers sur la base de ses diplômes et, en gros, de la tête qu’il a.
Il faudrait sans doute que je lui pose la question, mais si je ne m’abuse, mon amie n’a pas elle-même de médecin traitant, et n’est suivie officiellement par aucun spécialiste de la migraine : elle est son propre médecin, elle se prescrit à elle-même les traitements dont elle juge avoir besoin, ou bien demande à des collègues et amis de les lui prescrire. Si donc j’ai spontanément du mal à la considérer comme une patiente, c’est parce qu’elle a l’air de n’en satisfaire la description qu’à moitié. Comme son nom l’indique, le patient pâtit : il souffre, et je ne doute pas qu’elle souffre de ses migraines. Mais, comme son nom l’indique aussi, le patient…patiente. Dans les salles d’attente des hôpitaux ou des bureaux de consultation privés. Il patiente au téléphone pour prendre rendez-vous, ou entre deux consultations un peu trop espacées à son goût. À la différence du médecin, qui est très occupé, le patient patiente, parce qu’il a le temps (un patient impatient, il ne manquerait plus que ça). Or vous et moi savons à quel point c’est faux. C’est plutôt qu’il n’a pas vraiment le choix : il doit attendre qu’on lui donne ce qu’il n’a ni les compétences scientifiques, ni l’autorité institutionnelle de se procurer par lui-même, à savoir les moyens de sa survie.
Ce qui est curieux, dans la situation du diabétique de type 1 et d’un certain nombre de patients atteints de maladie chronique, c’est qu’une fois sorti de la consultation puis de la pharmacie, le patient-sachant-patienter-sans-s’impatienter se rue vers la cabine téléphonique la plus proche (ce qui devient, vous l’aurez remarqué, de plus en plus difficile), enlève ses lunettes et son costume de patient, et saute dans son costume de soignant (ce qui implique rarement de porter une cape et de mettre son slip par-dessus ses collants, mais pourquoi pas ?). Pour les trois mois qui viennent, d’ici la prochaine visite chez l’endocrinologue, c’est lui qui est en charge, calcule les doses, ajuste le traitement, réalise des actes qui reviennent bien souvent à s’insérer des aiguilles quelque part dans le corps. La tarification à l’acte devrait aussi être appliquée pour les patients qui se soignent eux-mêmes : à 5 injections par jour, laissez-moi un mois et je vous emmène tous au ski à Megève.
Le patient diabétique a donc cette spécificité : à la différence du patient qui a besoin d’une opération de la hanche, et qui – si du moins l’anesthésiste a fait son travail – chassera les papillons en chevauchant des éléphants bleus durant l’intervention, il est celui qui réalise les interventions, presque toujours. Naturellement, on n’est pas vraiment dans de la chirurgie lourde ou de pointe. Mais il reste que le patient diabétique doit quotidiennement, et même plusieurs fois par jour, agir pour se soigner, avec le risque de se mettre réellement en danger si jamais il se gourre. Comme le médecin, il doit aussi réfléchir à ce que cela veut dire, soigner, et comment on fait, au juste. Il y a bien des manières de se maltraiter, comme diabétique, à commencer par se fixer des objectifs intenables ou des règles trop rigides, ce qui mène immanquablement à l’échec, à la frustration, à la culpabilité et à la haine de soi.
Toute proportion gardée, il me semble qu’au moment du diagnostic, le diabétique de type 1 (ou ses parents, s’il s’agit encore d’un enfant) a l’impression qu’un encombrant bébé vient de lui être livré par la cheminée de la maternité, en recommandé-avec-accusé-de-réception. La cigogne est repartie avant qu’il ait eu le temps de lui demander qui était l’expéditeur.
– Félicitations Madame, c’est un magnifique diabète de type 1 ! Il va vous accompagner tout le reste de votre existence, il faudra en prendre bien soin, vous allez avoir des nuits difficiles, surtout quand il fera ses dents, mais c’est comme ça. Vous avez déjà pensé à un prénom ?
– Ah ? Euh…eh bien, disons…Maurice ?
Et vous voilà bientôt de retour à la maison, avec Maurice. Il y a effectivement des nuits difficiles, et aussi des jours où vous n’en pouvez plus de Maurice, de ses besoins, de ses sautes d’humeur, de toute l’attention qu’il vous demande. À intervalle régulier, vous allez consulter le Mauricologue, pour voir si vous n’êtes pas un trop mauvais parent et si vous vous occupez correctement de votre Maurice. Il reste que 90% du temps, c’est vous, et vous seul, qui devez vous en charger. Heureusement, vous pouvez compter sur vos parents et vos proches pour vous soutenir, au moins les premiers temps. Seulement pas question d’envoyer Maurice quinze jours chez ses grands-parents, histoire de prendre l’air et de retrouver un peu de la vie-d’avant-Maurice. Parce que Maurice, désormais, c’est vous. Vous êtes Maurice et la personne qui s’occupe de Maurice en même temps. Il arrive aussi régulièrement que vous ne sachiez plus trop qui ou ce que vous êtes : trop autonome en matière de gestion de la maladie pour être seulement patient (on ne peut pas mettre un soignant derrière chaque patient), mais pas assez éduqué ni formé pour être un soignant agréé et autosuffisant.
C’est sur ce point que, me semble-t-il, mon amie n’est pas une patiente comme nous le sommes. En particulier, elle n’a pas à reconnaître, quand elle franchit les portes de l’hôpital, qu’elle n’est jamais que soignante-amateur. Elle n’a pas à se soumettre au jugement des soignants professionnels, qui ont parfois déjà bien du mal à se reconnaître entre eux (il ne faudrait pas non plus que les infirmières se prennent pour des médecins). Ce qui lui manque, et qu’elle connaîtrait, j’imagine, si elle était affectée d’une pathologie qui serait absolument hors de son champ d’expertise et impossible à prendre en charge seulement par elle-même, c’est la relation de dépendance au soignant. Cette dépendance qui nous amène tous, quoi qu’à des degrés sans doute divers, à vouloir prouver qu’on est un bon patient-soignant, qui obéit mais prend aussi des initiatives, qui mérite donc qu’on l’aide à se soigner, qui fait parfois vraiment tout ce qu’on lui dit, et parfois prétend seulement le faire, avant de reconnaître finalement qu’il fait – seulement – ce qu’il peut. J’ai bien du mal à voir comment on pourrait vouloir monter une association de patients et prétendre porter leur voix, sans avoir été exposé à cette réalité-là.
7h : je me lève fatiguée, le réveil sonne depuis 20 minutes.
Je mesure ma glycémie : 0,52.
Direction la cuisine pour un petit déjeuner habituel, mais au lieu de débuter par mon injection, je la ferai juste après avoir mangé.
9h15 : arrivée au boulot, avec 10 minutes de retard. Bon, pour quelques minutes, j’accuse le RER en pensant intérieurement que ce soir, il faudra me coucher avec une glycémie à 1,5. Ce serait idéal si je veux éviter une nouvelle hypoglycémie au réveil…
9h30 : tiens, tout le monde est au café. On me fait gentiment remarquer que j’ai une « petite mine », tout en m’accusant d’avoir encore fait des folies la nuit dernière. Mais oui, bien sûr, s’ils savaient toutes les folies que l’on peut faire avec un stylo à insuline, ils s’éclateraient aussi.