Françoise et notre tractJe m’appelle Françoise et je mesure avoir fait une entrée plutôt fracassante dans le réseau Diabète et méchant, moi la discrète. Ce n’est pas que les sujets ou les gens me fassent peur, ma vie professionnelle m’ayant conduite à passer mon temps dans les interactions individuelles et collectives, mais ma vie perso a toujours été un mystère plus ou moins opaque aux autres y compris à ma famille. Là-dedans évidemment mon diabète arrivé à 37 ans n’a été qu’un épiphénomène.

J’ai été réanimée en soins intensifs 3-4 jours après un rendez-vous avec mon médecin généraliste, qui m’a seulement trouvée déprimée et qui m’a prescrit des vitamines, mais aussi après 7 heures aux urgences avant qu’ils trouvent ce qui m’arrivait (Where is Dr House?).

L’intérêt de tout ça a été que :

  • J’ai eu le temps de faire mon testament. (J’avais peur que mon conjoint et notre fille pâtissent de mon décès.)
  • J’ai trouvé que cette bougie qui était moi et qui s’éteignait en douceur et cette expérience de la mort voire même sa délivrance n’était pas si douloureuse que ça. A posteriori, l’expérience était même puissamment enrichissante.
  • Enfin, lorsque j’ai été réanimée et qu’on m’a annoncé ce que j’avais, je les aurais tous embrassés, tellement j’étais contente d’être en vie – je garde une reconnaissance éternelle à mon infirmier de réa dont je ne connais même pas le prénom – mais aussi parce que je mettais un nom sur une maladie que je ne connaissais pas mais contre laquelle je pouvais me battre.

Je me suis fait expliquer ce que j’avais à faire : piqûres, contrôles, genre qui quoi quand où comment. J’ai engrangé les infos vitesse grand V, parfaite élève comme d’hab’. Après une semaine d’hôpital, je suis rentrée chez moi (une performance) auprès de ma fille de 2 ans. Je me suis traînée chez le médecin accrochée au mur pour une prolongation de 2 semaines et, tous en forme, j’ai repris le boulot. Il faut dire que quelques pressions étaient présentes pour qu’une reprise soit rapide. J’ai pris mon paper board pour expliquer à mes collaborateurs et boss ce qu’était le diabète de type 1.

Et j’ai interdit à ma famille de me faire chier avec ça. « Je ne veux pas en entendre parler, c’est mon affaire », leur aurais-je dit (ma belle-sœur me l’a rappelé dernièrement).

J’ai surfé sur cette résilience innée (Boris, je sais ce que c’est !) durant une quinzaine d’années de diabète observé de façon distanciée. Quelques stages « d’éducation à la dépression », ah zut je voulais dire à « l’éducation alimentaire/diabète/fonctionnel », remplis de diabétiques que je considérais comme dépressifs (je passais mon temps à leur remonter le moral sans comprendre pourquoi ils étaient si affligés). Un seul pré-coma hyperglycémique 8 ans plus tard. J’ai même été félicitée par l’hôpital pour cette performance. Bonne élève toujours.

Et puis de bonne élève, je suis passée à super woman, et j’ai crevé le plafond de verre de la suractivité. Deux boulots à la fois, une heure de natation par jour pour faire un break entre les deux. 4 heures de sommeil par nuit, plus de week-end ni de vacances durant 3 ans, séparée, ma fille à charge, etc… Même pas mal !

Quelques comas hypoglycémiques plus tard, et un cœur fragilisé, j’ai mesuré qu’il était temps tout de même de faire attention à cette maladie devenue qui pour moi n’en était pas une à l’origine.

Je me suis mise à râler d’une façon désordonnée, anarchiquement, et quelques amis proches m’ont écoutée. Je râlais plutôt contre le système qui me donnait l’impression d’être une pompe à fric que contre la maladie, je râlais toute seule le matin une fois tous les 6 mois contre le fait de commencer mes journées en me faisant mal au bout des doigts, je râlais de me sentir fatigable, je râlais de savoir ma fille envahie de souvenirs difficiles après 25 ans de diabète de sa mère, je me suis déclarée à la MDPH, je me suis forcée à freiner, j’ai décompensé ma cardiopathie, stimulateur cardiaque, pompe à insuline, le tout installé depuis la fin 2016 et je suis très, très en colère. Envie d’Act Up sucré.

Et paf, Bruno, mon ami typographe, me parle des émissions de Bertrand sur France Culture en me disant « tu devrais l’écouter, j’ai l’impression de t’entendre ». Je l’écoute et, repaf, je me branche sur le site Diabète et méchant, j’y dévore l’information, j’envoie un message instantanément, Bertrand et Frédérique me répondent quasi dans la foulée et j’écris, lis, réponds trop vite, suspends mes écrits me trouvant exagérée, négative, non constructive, impudique, et en veille un peu obsessionnelle depuis cette rencontre virtuelle, j’apprends qu’un congrès sur le diabète se déroule dans ma ville !

Et nous voilà à quelques-uns à nous mettre en mouvement aidé de Bruno sur une opération tractage. Je rencontre Bertrand à la gare de Nantes dès potron-minet (c’est un bonheur de caser potron-minet dans un texte), souriant et visiblement heureux du tour que nous allons jouer à la SFD et au réseau médical non voyant.

Je ne peux vivre uniquement dans l’écrit et le concept, j’ai besoin d’action ; ce fut pur moment de liberté de penser :

  • Drôle de stupidités : les déléguées des organisateurs (les seules courageuses ? au regard très méchant à hurler de rire) qui m’ont prédit l’arrivée des flics et qui sont rentrées dans leur coquille en reconnaissant Bertrand et m’ont fichu une paix royale ensuite considérant que je n’étais qu’une sous-merde mais une merde qui distribuait plein de tracts sur l’esplanade pendant que Bertrand bloquait leurs égos. (Malin)
  • Sourires des participants lorsqu’avec le sourire nous leur distribuons de beaux tracts sans avoir l’air d’être de dangereux terroristes. (Séduction)
  • Echanges vifs mais humains avec un réfractaire à notre tract. (Authenticité)
  • Complexité de ma posture de débutante devant des questions qui mettent en risque l’association dans laquelle je débarque depuis à peine quinze jours. Allez voir Bertrand !!! (Ne pas se tromper)
  • Plaisir du partage avec Jean-Charles qui bouleverse mes croyances dans les glucides. (S’enrichir de l’intelligence des autres)
  • Solidarité et sympathie immédiate avec/pour Bertrand, à deux contre 500. J’adore aussi ! (La minorité de la minorité)

Chrysalidement vôtre,

Françoise