Texte écrit pour le programme de la 21ème Journée Romande du Diabète, École Polytechnique de Lausanne, 26 novembre 2016.
Il est remarquable que la Fondation pour la Recherche sur le Diabète ait choisi d’aborder ce thème. De toutes les complications du diabète de type 1, le déni est la plus fréquente, et c’est celle qui survient le plus rapidement. Si la notion d’acceptation de la maladie peut nous paraitre bien vague (on peut ne pas accepter qu’une météorite tombe dans notre jardin, mais les conséquences risquent d’être limitées), celle de déni est une réalité, et une tentation à laquelle beaucoup de diabétiques sont exposés, à un moment ou un autre de leur parcours.
Ce déni a deux sources principales. La première est le découragement. La dureté et la complexité de notre traitement sont souvent minimisées (« ça se soigne très bien maintenant ») tout en étant assorties de menaces, d’ultimatums et de culpabilisation en cas d’échec. Pour le patient, diabétique insulinodépendant, l’enfer est pavé de bonnes intentions (« est-ce que vous êtes équilibré? », « tu as fait tes analyses? »). Des modèles irréalistes, les récits féériques de patients imaginaires, la fiction de la perfection nous accablent. Nous essayons de faire coïncider au mieux plusieurs courbes, celles des aliments que nous ingérons, du métabolisme, de ce qui reste dans notre organisme des sucres de lenteur diverse précédemment absorbés, et la durée d’action de l’insuline. Cela n’a rien de facile, même pour les praticiens les plus chevronnés. Tout diabète de type 1 est instable et aucune machine, aussi intelligente soit-elle, n’est encore parvenue à la perfection d’un pancréas. Il y a des témoignages positifs qui encouragent et stimulent, d’autres qui nous accablent et nous font sombrer.
La deuxième source de déni est, paradoxalement, le désir de s’intégrer dans la société. Un diabétique qui se soigne est plus voyant, il fait plus souvent des piqûres, des analyses, et aussi des hypoglycémies, puisqu’il ne baigne plus dans un halo de sucre et d’acétone. Il peut même, de ce fait, se montrer plus irascible. Il demande des changements de garniture, ne boit pas comme les autres. Négliger ce diabète-là, encore si mal compris, évite de l’infliger aux autres.
Le DT1 ne ressemble à aucune autre maladie car les responsabilités opérationnelles décisives dans le traitement sont entre les mains du patient, y compris l’enfant. Le spectre de complications gravissimes et de perspectives épouvantables, l’abattement, lorsque nos efforts et notre conduite vertueuse ne sont pas couronnés de succès, peuvent nous conduire à faire comme si on n’était pas diabétique, comme si le diabète n’était pas là. Rarement en arrêtant brutalement le traitement, car nous savons que l’acidocétose nous conduirait immédiatement aux urgences, mais en cessant de l’adapter aux circonstances. L’impact est dévastateur, en particulier à l’adolescence, âge propice aux transgressions et au donjuanisme de la mort.
Cette fuite en avant peut être arrêtée. Les progrès de l’équipement, des appareils de mesure comme des insulines, y contribuent. Ainsi l’apparition récente de capteurs de glucose permettant non seulement de connaitre sans douleur notre taux de sucre mais de mieux comprendre ses variations est un formidable encouragement à la sagesse. L’émergence d’insulines plus lentes et plus rapides cernant au plus près ces variations glycémiques va également dans ce sens. Mais le déni ne peut être vaincu sans un discours digne, respectueux et conquérant. Nous devons lutter contre la pédagogie noire, les inexactitudes, et le déni de la spécificité du diabète de type 1, y compris, lorsque c’est encore nécessaire, par une éducation thérapeutique du soignant.