Diabète et méchant

Tout espérer, ne rien attendre.

Confins d’humanité, de la résilience

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Maintenant que cette folle année touche à sa fin, que par deux fois déjà nos vie ont été mises en suspens je me rend compte que, s’il existe de nombreux mystères dans l’âme humaine, la résilience est probablement une des savonnettes après lesquelles nombre courent.

On s’intéresse à elle par intérêt, la désirant pour nous même ou les autres. Plus on cherche à la définir et moins on la comprend. Elle fuit perpétuellement, comme notre ombre à midi. La questionner est une démarche individuelle qui nous amène à nous confronter aux tréfonds « de notre âme » pour y trouver où se forgent nos intuitions et névroses.

Comment se changent-t-elles en résilience ? Et, comment la source d’une résilience peut devenir la plus pernicieuse compagne de route d’une vie ?

Et, surtout, combien de fois peut-on, en une vie…?

Paris, le 4 Février 2020

Je traverse le quartier de la Défense après une journée bien remplie. Il me reste encore 4 heures de trajet avant d’être chez moi 596km plus loin. Un vent d’Ouest balaie de ses soupirs la ville lumière et disperse de fébriles nébulosités colorées par le soleil couchant.

Je n’ai jamais vraiment aimé Paris, la froideur des bitumes, du béton. L’odeur aussi, surtout peut-être. Mais, à cet instant, le soleil couchant ses reflets entre une collection de façades miroirs rend cet endroit et son panorama magnifiques. Je n’imaginais alors pas que d’ici peu je ne pourrais y revenir.

Ni que je ne saurais pas quand je reverrais les quais de Seine.

Francfort, Juillet 1943

Avec les copains on a eu de la chance. Certains sont arrivés ici de leur propre chef, quelque uns plus rare, par la contrainte. Nous ne le réalisons pas alors mais nous sommes des veinards affectés aux imprimeries. Les cadences sont décentes. Du moins, elles ne sont pas pires que celles des ateliers d’imprimerie parisiens. Mais, ici au moins, les machines sont flambant neuves et des mécanos s’occupent parfaitement de leurs réglages. Cela m’épargne de passer mon temps à les rafistoler. Les baraquements sont décents, plus que ce qui existe en logement à Paris du fait des privations. Mais on se rend bien compte que, parmi nous, nul n’est rouge ou juif…

On ne réalise vraiment la chance que l’on a eue qu’après coup. Encore qu’il existe des hommes incapables de le reconnaitre.

Par orgueil et préjugés ?

Ce jour-là les alarmes de la ville sonnent. La Ruhr est sous les feux des forces aériennes alliées. Les nouvelles de l’Ouest ne font pas envie. Aussi savons nous tous ce que cela signifie. Mais notre surprise est qu’il fait encore jour… Hans est un jeune mécano qui s’occupe de ma presse, je n’entends pas un traite mot de ce qu’il raconte dans la langue de Goethe mais nous fuyons l’usine ensemble. Le son strident des alarmes n’aide pas à garder les idées claires quand, vendant du couchant, s’ajoute ce son…

Des milliers de moteurs lancés à pleine puissance rugissant… Ce n’est pas un nuage mais une horde d’acier qui avance vers nous dans l’azur. Nous nous engouffrons dans la première porte ouverte, traversons un couloir et nous jetons dans une autre porte droit dans une cave d’immeuble. Les habitants de l’immeuble ont dû trouver refuge ailleurs, nous sommes seuls dans cette cave à charbon où se trouve les cokes.

Ça commence… Les secousses emplissent l’air de poussière, le son des moteurs s’approche puis nous dépasse tandis qu’aux secousses s’ajoute le son des détonations.

Tu sais Matthieu, en vrai, une bombe ça ne fait pas tant de bruit que ça…

Tant que tu peux l’entendre…

Les moteurs se font plus lointain donnant le sentiment pervers d’une accalmie. Hans tremble de peur tandis que je ne pense qu’à essayer de continuer à respirer et tâcher d’y voir quelque chose dans la poussière qui a envahi la cave. Je le sens tirer ma manche, je ne pige rien à ce qu’il raconte. Et il le sait bien. Il me montre la porte et m’indique qu’il va voir. Si l’on peut sortir ?

L’escalier de profil face à moi, je le vois monter et poser la main sur la poignée de la porte fermée. Son visage…

Puis le noir, je n’entends plus rien, j’ai l’impression d’être sous des tonnes de gravats. Dans un effort qui me semble surhumain je me débat et sors… Du charbon… ? Je n’entends qu’un sifflement assourdissant… Le tas de charbon s’est étalé sur moi, des poutres sont fendues. Le jour perce à travers le plafond, l’air est lourd et suffocant.

Hans ?

Il n’y a plus de porte, face à la porte sur le mur une trainée de sang mêlée de chair. Je comprends que tout ce qui se trouve au-dessus de moi risque de s’effondrer et, tant bien que l’on puisse, je fuis cette cave. A peine parvenu à l’extérieur je réalise qu’il n’y a plus de couloir.

Ni, vraiment, d’immeuble…

Je suis dans la rue où quelques instants avant je courrais. Je ne reconnais rien. Là où se trouvait encore une large rue de faubourg animée je ne vois qu’un alignement de ruines de chaque côté de ce qui fut une rue. Rien, plus rien, n’existe. Et je sais que ce n’est que le début.

Qu’après va venir le phosphore (bombes incendiaires) comme à Esme, ou Hambourg et, plus tard en apothéose, à Dresde.

Courir. Courir vers ce qui ne peut brûler… Je vois ces pauvres âmes titubantes courir, femmes et enfants vers le fleuve…

Ils ne savaient pas que le phosphore fait tout brûler. Même et surtout l’eau.

Combien de fois, en une vie…

Lyon, Février 2020

Depuis quelques semaines l’hiver touche bel et bien à sa fin. Pour peu qu’il ait d’ailleurs existé cette année.

De loin en loin, par tubes cathodiques interposés, on entend parler d’un Mal venue de Chine. Experts et politiques sont unanimes, ce n’est ni grave ni – surtout – important.

C’est loin, ce n’est pas un problème. Vraiment, il ne faut pas s’inquiéter, ce n’est ni alarmant ni sérieux. Et, puis, entre nous soit dit au JT des 20h : ce sont des chinois…

Cela n’a donc pas à empêcher un match de foot, une festivité républicaine ou privée ni la sortie d’un couple exécutif au théâtre…

Pourtant, de loin en loin, par tubes cathodiques interposés, on entend parler de personnes malades, et bel et bien mortes parfois. La réaction des gens m’étonne. Les chiffres n’ont, encore, rien d’impressionnant. Mais je commence à sentir plus que je ne comprends que la peur va être le moteur et non une quelconque forme de raison, solidarité ou d’union sacralisée.

Comme en 1347, année où la grande peste arrive, et débarque au sens propre à Marseille. Ce n’est, en ce mois de Février, pas ce que l’on dit de ce « Mal » qui est important.

L’important est ce qu’on n’a pas dit, pas encore, et ce que l’on se refuse obstinément à faire, ou regarder en face.

Comme six siècles plus tôt…

Bort-les-Orgues, Vendredi 22 Avril 2011

Une chaude journée de printemps voit le soleil pointer à son zénith. Un étrange ballet dont j’avais oublié l’ivresse se joue au sein de mon esprit entre conscience et inconscient, raison et espoir. Encore une fois, comme tant mais trop peu d’autres, je viens te voir. Tu es alité, la chimio a – sans doute -empiré les choses. L’air te manque, ton cœur bat trop vite. La pompe compense, tant qu’elle peut.

Oh ce serait tellement beau et, en même temps, minable que de raconter que nous parlâmes alors de la beauté du monde, du sens de la Vie et l’œuvre de Dieu ! Des vérités, si certaines, qu’elles en deviennent douteuses. Si liquides qu’elles en sont déjà inutiles. Mais c’est à peine si l’on parla du menu du jour, de la météo et quelques autres quotidiennetés. Ces choses qui, si littérairement désuètes puissent-elles paraître, n’en sont pas moins que ce qui fait nos vies.

J’hésite, tellement. On n’apprend tristement pas à être Homme dans ces situations. Je me sens comme un enfant ignorant. Et, sachant pourtant au fond de moi tout ce que je pourrais faire inutile.

Je quitte la chambre en te disant simplement « à demain », remonte ce couloir d’hôpital où je croise Christian qui me prend à part et m’explique… Simplement, parce que c’est simple en fait, sans détour parce qu’en fait on y va tous et toutes, que ce n’est qu’une question d’heures ou jours.

A cet instant en regardant ce couloir je « sens » que c’était la dernière fois que je te voyais en vie. Les infirmières s’agitent dans le couloir, je n’ai plus mes lunettes, les yeux embués je ne parviens pas à voir d’où elles viennent ni où elles vont. L’une d’elle tend son bras vers moi, j’entends « appelle son fils », puis « non, non c’est bon »…

Toi, tu avais compris.

Quant à moi j’aurais aimé me tromper. Ne serait-ce que d’une journée. L’audace de la jeunesse sans doute…

Combien  –  de  –  fois  –  en  –  une  – vie…

Nice, Octobre 2013

Ce qui pendait au bout d’un si joli nez finit par arriver. Tu as fini par t’effondrer d’épuisement face à une classe de 30 ados survoltés. Tu espérais tenir jusqu’à ton rendez-vous à Larchet (CHU, Nice), malgré la douleur, les diarrhées, la fatigue et la dénutrition…

Il existe des Mals insidieux. Des traumas que l’on fuit aussi. Des rechutes que l’on se refuse à voir venir. Parfois par défi, par rébellion.

Par manque d’observances diront les Braves Gens ?

Mais, souvent, je crois que c’est l’absence d’issue digne qui nous conduit à une sorte d’autodestruction ainsi qu’un regard parfois pesant d’un corps médical technicisé, en sous-effectif et ainsi de moins en moins au fait de s’occuper d’humains à la psyché complexe.

Je n’ai pas été meilleurs qu’un autre A. Je te demande pardon, je n’ai pas compris tout de suite. J’ai mis des années avant d’arriver à comprendre.

Anti-tnf alpha, Humira, anti-tnf kinoïde et échec… La fuite en avant, on sait que le mur est là et on espère simplement que l’on n’avance pas plus vite qu’il ne recule.

La cortisone en guise d’opium, l’erreur serait de croire que le plus important se joue dans ces fioles à la manière de ses fous qui espèrent trouver une molécule pour vaincre le Mal en phase terminale.

La Vie ne se met ni en boite, ni quarantaine. Navrée. Seuls les morts demeurent – en quarantaine.

Lyon, 14 Mars 2020 – Au commencement

Au commencement il y a le verbe.

Le verbe crée, il est manié pour unir, souder, entrainer, persuader à défaut de pouvoir réellement convaincre. Nous venons d’entrer dans le temps du verbe, on parlera bientôt de guerre, d’efforts à faire ou concéder, d’une situation unique dans l’histoire. Les lieux qui fondent la cité, ceux où l’on se rencontre et retrouve seront fermés à minuit. Sans presque de préavis, sans date de réouverture. Quelque temps plus tard les espaces extérieurs seront eux aussi fermés, de peur et crainte que leur simple accessibilité ne soit source du désir impur ou pernicieux de les arpenter.

Au commencement, ainsi qu’il a été dit et écrit, il y a le verbe. Le verbe créateur, l’expression du langage faisant passer l’homme de l’état primitif à l’état de culture. Tel que l’on entend généralement ce mot, à présent. Mais le verbe est versatile, à peine dit, maintenant immatérialisé dans les nuages électroniques de nos médias, il se transforme en lames acérées. En outils de domination, en justifications. Le visage de ce verbe devient d’abord double, puis triple. Il deviendra légion assourdissante en l’espace de quelques semaines…

L’ambiance devient étrange, ce Vendredi soir les bars, boites et tous les troquets feront carton plein. Puis, à minuit et 1 minute, seul le son de quelques sirènes veillant au respect de la volonté exécutive retentiront. Le silence, un silence oublié comme aucun homme de moins de 80 ans ne peut en avoir mémoire, étend son linceul sur la ville. Un silence comparable à celui existant avant l’épidémie automobile en ville…

J’ai un drôle de pressentiment, si ça ne s’arrêtait pas là ? Non, pourquoi faire durer un tel suspense, ce serait ignoble et indigne ! N’est-ce pas ?

Mais…

Paris, Février 1996

Je suis à Paris, la grande ville, comme tous les ans pour les vacances d’hiver. Au moment où les parisiens vont déflorer les pistes alpines alors encore souvent vierges de canons à neige. J’arpente la capitale que j’explore à travers les yeux de mon grand-père. Le zoo de Vincennes fait partie des incontournables de mes goûts d’enfant. Cette fois on ira aussi visiter la « cité des sciences et de l’industrie » à la Villette. Entre deux monuments, deux visites, je découvre la ville à travers les yeux de mon grand-père. Le métro nous sert à aller « en banlieue ». La sienne commence à Belleville, nous passons donc le plus clair du temps à marcher. Chaque perspective, rue et quais de la ville a une histoire à raconter. Cet environnement, où je passe plusieurs semaines chaque année, est si différents de mon quotidien qu’à dire vrai je suis émerveillé par quasiment toutes les perspectives, immeubles, et ces histoires innombrables de métiers, d’infrastructures disparues, révolutions, d’idéaux et Communes aussi…

Aurais-je pu imaginer qu’il s’écoulera 7 ans avant que je ne revoie cette ville ?

Comment aurais-je seulement pu imaginer… ?

Lyon, 16 Mars 2020 16-17h

Le Mal est là, en l’espace d’à peine quelque jours les rues se vident. Le silence s’étend sur la ville me donnant l’impression d’y retrouver mon Limousin natal. A cheval sur mon vélo, je me surprends à écouter le chant d’oiseaux auparavant couvert par les (trop) nombreux moteurs. Les passants sont aussi moins nombreux, les rues se vident. On ressent comme une sorte d’étrange urgence, d’incertitude. Une crainte ? Peut-être… Mais le Mal est là, au crépuscule du Verbe et l’aube de son échec la mémoire empile les messages et je me souviens…

Ce dernier Lundi je passe au bureau, l’heure n’est plus à avancer, produire ou travailler mais organiser une mise en léthargie. Je fais ce qu’il est nécessaire ou simplement possible de faire et, en laissant mes coordonnées personnelles où je resterai joignable j’ajouterai :

« Alea Jacta Est, memento Mori » (Les dés sont jetés, souviens toi que tu vas mourir).

Pardonnez-moi, j’ai définitivement un humour de chaise percée…

Quelques heures plus tard, sur le chemin du retour, je m’arrêterai à la cathédrale St Jean Baptiste. Je n’ai jamais été croyant mais, ce jour-là, j’allumerai un cierge me souvenant de ces mots gravés en épitaphe : In manus tuas domine (Entre tes mains de maitre). A ce moment-là, sans que je ne comprenne quoi que ce soit, j’ai conscience que la suite des événements ne va plus dépendre que de ce qui est déjà advenu. Et que l’avenir n’est, d’ores et déjà, plus entre nos mains.

Mais mon angoisse ne réside pas dans ces vieilles locutions latines. Elle réside dans le fait que je sais parfaitement que l’être humain résiste très mal à l’incertitude, à la perte de contrôle. Qu’il n’y a rien de plus efficace que ces deux choses pour le rendre maladivement irrationnel.

Je n’ai pas peur du Mal. J’ai peur de l’homme qui, le craignant trop, oublie qu’il participe de ce monde à son image.

Peur aussi de l’homme qui, se découvrant impuissant parmi les grands et enorgueilli, devient fou et psychotique.

Mais toujours aussi enclin à l’érotisme du bouc émissaire à grand renfort d’arguments d’autorité…

Bort-les-Orgues, 6 Juin 1996

Il est midi et demi ce Jeudi 6 Juin. Chose plutôt rare, je dois aller chez Christian, le médecin, avec ma mère. Il faut bien dire que ce n’est pas la grande forme. Ma consommation d’eau pétillante, limonade, citronnade devient pour le moins inquiétante. En même temps que le temps que je passe à pisser chaque jour.

A la sortie de l’école j’attends, seul, dans cette allée en cul de sac bordée de ces bâtiments, logements et commodités de cité ouvrière bâtie dans les années 50 pour exploiter la houille blanche de la Dordogne après la noire de Champagnac. Le soleil perce à travers les houppiers des platanes. Derrière moi, le versant sud du plateau couvert de sa forêt brille de mille nuances de vert. Tandis que, quelques centaines de mètres devant moi, se délabre fier et paisible ce qui fut un cinéma et l’épicerie de cette cité éphémère qui n’en finissait pas de rendre son âme aux injonctions d’un marché qui l’a laissée aux faubourgs de ses développements et au centre de ses économies de libre-échange.

Je suis le dernier de la matinée à être reçu dans le cabinet. Ma mémoire se fait plus confuse, une énumération de mes symptômes. Chose qui me semble pour le moins étrange, alors, Christian me demande d’uriner dans un récipient. Ma mère reste avec lui dans le cabinet tandis que je fais mon affaire aux toilettes. A mon retour Christian insère une bandelette dans le récipient.

Un véritable sapin de noël…

Je vois un appareil étrange, on m’explique qu’il faut une petite goutte de sang prise au bout du doigt. Je rechigne et refuse mais… Bon, j’ai confiance et la dextro fini par rendre, 45 secondes plus tard, son tirage : 253.

J’ai du mal à me rappeler, je me souviens d’explication (« 2 grammes 53 par litre » de sucre), de prises de sang à faire. Pas d’inquiétude. Manger normalement, non ne pas aller à l’école cet après-midi.

Hum ? J’sais pas, j’le sens pas. Mais vraiment, vraiment pas. En même temps que cette réflexion enfantine me traverse l’esprit, une autre, qui ne se dira pas avant longtemps, se fait jour.

Et si c’était, d’une manière ou une autre, la dernière fois ? Et si cette soif et cette réserve quant à ce demi-morceau de sucre…?

Hiver 1943-44, gare du Nord, Gaby

J’ai quinze ans, cet hiver est infernal. Les boches balisent, semble-il, depuis que les russes leur ont tenu tête à Stalingrad. Les restrictions nous privent de tout à commencer par le charbon et, aussi, la nourriture. Il fait tellement froid ici à Paris…

La nouvelle est tombée hier, tu vas devoir partir toi aussi. Après Jacques, avec Claude et tellement d’autres. Pas le choix, ils réquisitionnent tous les bras. Tu pars avec Claude, vers une ville où tu seras affecté. Tu ignores où, j’ignore où. J’espère que tu resteras avec Claude, c’est bien la seule réalité à laquelle je puisse encore aspirer dans ce tourbillon de néant qui aspire les âmes. Je t’étreins, toi mon frère, sur ce quai de Gare du Nord dans la foule qui s’amasse entre des rangées d’hommes armés. Sur le quai, dans le bruit assourdissant des machines gavées de coke et houille à l’odeur âcre je te vois t’éloigner d’un simple « Au revoir ».

Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je voyais ton sourire et le son de ta voix.

Lyon, 16 Mars 2020, la métamorphose du Verbe

Le verbe devient glaive, la loi est gravée, l’isolement nécessaire pour indigner un Mal invisible, sournois qui peut tuer – parfois – mettre à genoux plus souvent mais qui reste trop silencieux généralement. Le verbe devient support d’une étrange affaire. Ce Mal n’a pas de signes distinctifs, le plus souvent. On imagine et affirme qu’il faudrait faire des « tests », ne serait-ce que pour savoir qui vraiment isoler ou si ce n’est qu’une simple affection ORL saisonnière comme le réchauffement climatique nous en amène de plus en plus souvent.

Mais rien… Les tests sont une rareté, de ceux-ci je n’ai que le verbe cathodisé. J’ai cherché, rien trouvé, des proches ont souhaité en faire, ils ne trouvèrent que porte close.

Le Mal, nous avait-on dit en Mars, est maintenant partout. Il « circule » et il n’est donc plus nécessaire de tester car il est partout, tout le temps. Le verbe se déconfine en déconfiture justifiant une paresse d’esprit qui amène au paradoxe suivant, auquel je me confronterai en téléconsultation : en Mars/Avril 2020 ta santé devient binaire : ou t’as l’Mal… Ou tu vas très bien.

J’ignore ce qu’il se passe quand on meurt, y compris en 2020, mais si le purgatoire ressemble à une téléconsultation ça promet :

Télédocto Gabriel : « Vous toussez sec, avez de la fièvre, fatigue, courbatures, pertes de goût et/ou odorat ? Allez-vous assoir à droite. »

Simple mortel : « Non, je viens pour un vieux compagnon de route qui me mène la vie dure sans mal… »

Télédocto Gabriel : « Rien de tout cela ? Rien de rien ? Psss… Foutez le camp ! »

Simple mortel : « Oui je… Mais je suis malade et, semble-t-il, mort messieurs l’agent Gabriel ! »

Télédocto Gabriel : « Messieurs, comprenez que du fait de l’arrêté n°437 en date du 36ième jour du mois d’Arès 2020 après Jean-Claude vous ne pouvez plus mourir d’autre chose que d’un coma faisant suite à une submersion par la Coronas Express…? Non, d’une infection, où avais-je les ailes ? Jusqu’à nouvel ordre, bien entendu. »

Simple mortel : « Bon, désolé messieurs, si j’avais su vraiment. Non vraiment, j’aurais choisi un autre moment pour banalement mourir d’une aciduité cétosique. »

Télédocto Gabriel : « Aucun souci, allez-vous prendre une Corona Indulgence. Contre un millier de masques on vous pardonne une pensée impure, pour un million on pardonnera votre adultère et au milliard… On ferme les yeux tout court. »

Simple mortel : « Ah, du concret ! Super ! Bravo ! Bon, autrement, pour les célibataires impies et démasqués ça se passe comment… ? »

Ce dernier jour, le sommeil se fait rare et, confinant à l’infantilisation, je profite de l’obscurité pour aller me dégourdir les jambes. De la colline de la Croix Rousse jusqu’à la Confluence, de berges à berges, je ne trouve que des rues désertes.

Ce qui frappe alors ce n’est pas l’absence d’humains. Non, ce qui est troublant, angoissant pour certains et que je trouve alors à la fois perturbant et enivrant c’est le silence… La ville, en l’espace d’une poigné d’heures, est devenue totalement silencieuse. Sur 7 à 8 km marchés je ne croiserai que quelques individus dont une majorité de sans-abris qui, pour une fois, sont enfin chez eux.

Mais toujours laissés pour compte, l’injonction n’est paradoxale que pour les faibles.

Les forts n’en ont cure. Le Mal est contagieux, c’est d’ailleurs une caractéristique universelle du Mal. N’est-ce-pas ? Dans le cas présent il serait souhaitable de s’en protéger avec divers « EPI » (Equipement de Protection Individuel, c’est le terme technique). Comme 673 ans plus tôt le masque devient un enjeu. Bien que, on le sait maintenant, celui-ci n’était d’aucune utilité contre la peste et ses puces.

Face à une rupture de stock pour le moins prévisible et, rendons à César ce qui ne fut pas à Vercingétorix, celle-ci fut parfaitement bien organisée en flux tendu, débute alors dans le Verbe une drôle de danse… Une de ces danses que l’on débute innocemment avec une partenaire inconnue et, au rythme des chansons qui s’effeuillent, questionnent nos désirs et leurs expressions.

D’un côté il s’agit d’une union sacrée. Nécessaire et indiscutable que de se « confiner ». D’un autre, cette évidence relève presque de l’indécence, il faut éviter un naufrage économique. Si tant est que l’on ne l’ait pas réalisé avant on constate alors que nos économies ne peuvent se passer de quelques semaines ou mois de leur existence.

Nous réalisons que nos vies, du moins ce qui les constitue, fonctionnent en flux tendu. Et ces flux viennent, pour une majorité, de s’arrêter. Pour éviter un ou le pire ? Le piège est sémantique. Avec des « si » Paris entre en bouteille, personne ne peut réellement savoir ce que serait le présent – si – le passé avait été différent.

Quoique… C’est aussi ainsi que l’on apprend.

Mais apprend-on encore ?

Bort-les-Orgues, 1ier Mars 2020

C’est un Dimanche de printemps avant l’heure. Le ciel est d’un azur rare pour l’hiver, discrètement mais avec conviction l’odeur du printemps commence à s’installer. Comme à mon habitude avant de prendre la route pour la capitale des Gaules je m’arrête à l’EHPAD où tu résides à présent. La structure est petite, le personnel bien qu’en sous-effectif chronique, en manque de moyens, reste à l’écoute. Il nous est possible de déjeuner pour 7 ou 8 € avec toi au réfectoire. Cela ne paie pas de mine face aux grandes tables de France, à l’agonie maintenant, mais le cuisto est un amour souriant et l’ambiance bon enfant amène un peu de vie dans ce qui sera ton dernier séjour.

On partage une bière et un repas digne, fait de vraie nourriture et non de bouillie. Tu vas bien, me parle de ta jeunesse et des autres résidents. De Gaby parfois, de Maman souvent.

J’ignorais totalement que ce serait la dernière fois. Les mots manquent pour décrire la suite, entre le discours officiel et bienveillant qui confine à l’autojustification et un Hold up prestidigitateur il se trouve une réalité. Notre réalité, pas une abstraction politicienne, pas une justification ministérielle ou un récit héroïque de héros qui « sont restés pour prendre soin » pour un modique SMIC horaire qui ne sera que poussivement révisé.

Une réalité donc… Mais laquelle ? Une centaine de résidents dans un département (alors) épargné (Corrèze) qui seront enfermés dans leur chambre. C’est-à-dire 20 m², en comptant large. Sous clefs, au sens propre. Un directeur qui fera remarquer à ma mère que ses « visites », consistant à échanger un sourire et quelques chocolats par une fenêtre ne sont plus souhaitables voir répréhensibles. « Comprenez madame, cela crée des jalousies. Si vous persistez nous risquerions de devoir prendre des mesures ».

Comment aurais-je pu imaginer que ce serait cela la dernière fois ? Que tes derniers jours ici débuteraient par – Non, je ne pèserai pas mes mots ! – une mise aux arrêts dans ta propre chambre. Alors que légalement tu n’es sous la tutelle de personne.

« Comprenez M., on fait ce qu’on peut… »

Juin-Octobre 2020 et ensuite… Un crépuscule sans fin

Un jour j’ai eu la chance de discuter avec une femme qui avait eu l’idée étrange de visiter le grand Nord. Le plus éprouvant, imagine-t-on dans nos pantoufles sur parquet de beaux appartements, serait le froid, le vent et la crainte de manquer de vivres. Comme si, ces besoins aussi primaires et vitaux à l’équateur que dans l’ISS seraient aussi le lot au-delà du cercle polaire. Pourtant…

Pourtant il y a une chose qu’on trouve aussi bien à l’équateur que dans les hublots de l’ISS : le jour, ou soleil si vous préférez. Tandis que, au Nord du cercle polaire, arrive en Décembre un jour maudit où le soleil cesse de se lever pendant de longues semaines. Puis, en Juin, arrive le jour maudit où il cesse de se coucher. Où les crépuscules semblent sans fin. A en devenir fou, perdant toute notion de temps puis de réalité.

Nous sommes maintenant en Juin, sans liesse, et le soleil se fait attendre.

Un journaliste parle d’élections municipales, un candidat du « monde d’avant » et du « monde d’après ».

Vous reprendrez bien une tranche de green-washing ? J’ignorais qu’on avait changé de planète, vous prenez la CB ?

Je revois ma dernière grand-mère pour la première fois depuis 3 mois, la troisième fois cette année – seulement la troisième… Elle qui a connu l’occupation du mauvais côté de la ligne.

Elle qui… Elle qui dit avoir eu l’impression d’avoir été et d’être en prison…. Deux de ces copines se sont laissées mourir, silencieusement et sans chichi…

Ne pas craquer Matthieu. Ne pas craquer…

Comment ça a été toi le confinement ? Moi super, avec mon jardin et j’ai pu lire. Moi j’ai « fait le point » sur ma vie et pris des résolutions. Lui il s’est mis au yoga. Et untel autre au sport. Non, vraiment c’était fantastique cette expérience.

Alors …? Laquelle ? La tienne, la mienne ou la collective ? Et pourquoi tous ces gens se sentent obligés de parler de leur béatitude digne des réclames de certains pour des pompes (à insuline) connectées ?

Pourquoi un tel besoin de mettre cela en avant, vous connaissez une majorité de personnes qui, mises au mitard, en ressort avec un sourire béat ? Pauvre idiot et fou que je suis, si j’en vois un je pencherais pour un internement. Mais le manque de lits… « Vous comprenez… ».

C’est la fête de la musique, les gens sont inconscients de sortir et se rassembler, non vraiment ! Ils ne se rendent pas compte !

Non ! Mais tu es inconscient d’être allé à ce concert ! Quoi ? J’ai fait la bise à Léa et Paulette… Le purgatoire m’attend. En même temps ça fait un moment que l’hypoglycémie m’y amène.

La grande distribution et la grande Big pharma se refont une virginité sur la nouvelle planète Terre auto-nommée « monde d’après ». Apparemment la Dépakine n’a jamais existé dans l’avant du « monde d’après ». Amazon se fait une Pub d’enfer pour souligner à quel point c’est Cool d’être esclave intérimaire salarié chez eux et Google a même une pub pour faire croire à qui serait athée que les petits commerces s’en sortiront grâce à eux…

Le Lancet qui avait publié un article repris et commenté sur l’inutilité ou la dangerosité de « traitements » retire son article. Évènement historique mais bien moins commenté ou repris, comment le comprendre ? Ils ont mélangé dans les statistiques les personnes traités ayant peu de symptômes, pas de facteur de risque et d’autre déjà en réanimation et « à risque » pour faire leurs graphiques.

La Big Data… Comment vous dire ? C’est comme lorsqu’un politique vous parle statistiques, il faut être bien réveillé et avoir une cafetière sous la main. Quand les cohortes sont grandes et bien « échantillonnées » on leur faire dire ce qu’on veut : on a bien des insulines qui ne provoquent pas d’hypoglycémie ni ne font prendre de poids… Rigoureusement, si on s’en tient à ses indicateurs, elles seraient inactives. Mais, en choisissant bien… On pourrait faire croire que leur profil d’action est meilleur. Mais, alors, pourquoi ne pas simplement tâcher de monitorer ces profils ?

L’enjeu, jamais souligné, est que si une étude doit exister concernant un éventuel « traitement » alors… Surtout, il ne faut qu’aucun généric-able n’y figure. Au cas où… Autrement il vaut mieux ne pas écouter car l’enfumage est facile, très facile. Mais à ce niveau d’expertise c’est indigne, inacceptable et surtout inquiétant. Qu’importe qu’un antipaludique et vieil antibiotique puisse ou non aider, l’affaire est close pour des raisons qui n’ont de scientifique que le vernis à peine séché.

J’ai l’impression que ma tête va exploser… ? Pas juste la mienne en fait, cette chose que certaines personnes vénèrent et nomment « intelligence collective ».

Il faut bien se dire qu’un diagnostic de diabète de type 1 à l’âge de 10 ans c’est une fichue thérapie pour l’hyper-sensibilité. Mais là…

Je me sens impuissant, mais ça j’ai appris à gérer. Je me sens (médicalement) en danger mais, ça aussi, j’ai appris à gérer.

Je suis infantilisé, ça par contre je ne vais pas le gérer longtemps… Déresponsabilisé de mes propres actes, de mon propre droit à la dignité humaine que l’on m’a refusé deux mois durant. Puis qu’on me refuse à nouveau.

Ça, oui ça, par contre je ne peux pas gérer. Moi qui comme tant d’autres joue ma vie à une fraction de fraction de ml chaque jour et plusieurs fois chaque jour…

J’ai l’impression que ma tête va exploser, que ce monde fait un p-u-t-a-i-n de burn-out juste à cause d’un brin d’ARN encapsulé dans un truc nommé virus qui a franchi, un jour d’automne 2019, la barrière d’une espèce : la nôtre.

Le Mal ne pèse pas lourd mais il agenouille la dixit glorieuse civilisation mondiale. Et j’ignore même s’il le fait lui-même ou bien si ce n’est pas nous qui nous agenouillons seuls.

…« Nous sommes en guerre »…

…« Une crise sanitaire mondiale »…

Le monde se voulait interconnecté, le village mondial découvre son talon d’Achille et, comme un enfant, se retrouve pantois quand il le découvre. Mais on va donner des milliards de plus à l’aéronautique pour sauver le secteur. Les soignants auront une batterie de cuisine offerte… Sous forme de chèque SEGUR-cadeau ?

Le Verbe a dit « nous sommes en guerre ». Papi… C’est idiot mais j’ai pensé à toi et me suis demandé ce que tu aurais pensé de cela. « En guerre », celui qui affirma cela a-t-il seulement idée de l’enfer que tu traversas à Francfort en 1943 ? Un journaliste justifie le fait que 100% du temps de JT fut consacré au Mal par le fait que c’était « flippant » (pour lui), le confinement, ne plus voir untel…

Mais que sait-il d’un état de guerre ?? Que sait-il, celui-là, de ce que c’est de voir le soleil se coucher en plein jour sous les volutes des flammes nourrie au phosphore après qu’un tapis de bombe ait réduit des quartiers entiers en tas de briques ? En à peine plus de temps qu’il ne faut pour l’imaginer.

J’ai beau chercher le sommeil il me fuit, mon corps dort seul. Une sensation d’oppression, qu’est ce qui se trame dans les méandres qui me servent de conscience ?

La fête bat son plein et j’arrive à peine à penser, à… Merde, à avoir envie. Vierge putain si on m’avait dit que je connaitrais la déprime sur décret présidentiel.

La 5ième République est vraiment une merveille ! Je doute simplement qu’il y ait encore des hommes ou femmes à sa hauteur.

Épilogue, Lyon le 28 Octobre 2020 20h

Je me tiens loin des tubes cathodiques mais depuis le matin les discussions ne tournent qu’autour du nouveau confinement. Diverses « fuites » évoquaient des possibilités toutes plus oppressantes et restrictives, tordues pour certaines, que les autres. Ce matin, seule cette possibilité semble continuer à exister. Mais, comme si le sentiment d’infantilisation qu’une telle situation induit ne suffisait pas, il faut attendre un JT à 20 h pour espérer avoir des certitudes. Je me retrouve donc en rang d’oignons « téléspectaté » pour assister à l’annonce d’une nouvelle mise sous cloche façon 2.0.

Alors que dans mon esprit se brisent des digues et finissent de se déliter des fondations…

Fondation, Bort-les-Orgues, 6 Juin 1996, 16h et quelques poussières

Papa est rentré tôt et nous sortons du petit laboratoire d’analyse où je subis ma troisième prise de sang de l’après-midi. Avec Maman nous retournons aussitôt au cabinet de Christian. La journée est chaude et la salle d’attente pleine à craquer. Je suis assis dans l’encadrure de la fenêtre entre-ouverte, nul ne sait plus ce qui a pu alors m’occuper l’esprit. Je ressens, aussi, ce sentiment d’urgence au travers de tout ce qui se dérobe à l’habitude. Au ton des paroles, à la façon dont les sourires se dessinent sur l’esquisse fugace de la tristesse autour de moi.

Je « sens » que ce qui va arriver changera tout et que ce qui existe encore cessera d’exister dans quelques instants.

Bref, j’ignore simplement ce qui va m’arriver mais je sais que ça va arriver. Quoique…

Christian apparaît à la porte, raccompagnant son patient. Il n’a pas à tourner la tête, je suis juste en face de lui, assis sur le sol devant la fenêtre. Je croise son regard, l’expression de son visage alors qu’il serre la main de mon père… Je lis, sans le comprendre, que ce qui suivra ne sera qu’une mise en mots de ce que je crains le plus au monde. Mais il me faut me lever, j’ai l’impression de peser et…cette soif….

On arrive dans son bureau tous les quatre, pas d’examen. On s’assoit.

Diabète insulino-dépendant (« DID »), on ne numérote pas encore à l’époque. Prise de rendez-vous, hospitalisation imminente, non pas demain mais dès ce soir : les choses pressent et mon état peut se dégrader rapidement.

Je craque, ne réagis pas très bien mais ce n’est pas cela qui compte dans ce qui s’est passé ce jour-là, à ce moment-là. La pudeur et la nécessité sociale de raconter ces choses tendent à évincer les réalités plus essentielles mais moins tangibles.

Tandis que les annonces gouvernementales nous promettent un avenir sombrement « nécessaire », faisant fi de toute capacité civique de notre part et reconnaissance de l’échec bien tangible et prévisible, je réalise ce qui m’est arrivé 24 ans plus tôt. Je comprends que, dans ce cabinet, puis à l’hôpital, j’ai eu la chance de trouver une résilience salvatrice. Mais la résilience qui est et fut la mienne n’est pas juste un mot sur lequel achoppe les psychanalyses. Elle a une « réalité » tangible, un marché entre l’enfant que j’étais et l’homme que je suis devenu. Et qui, d’une certaine façon se « fonde » aussi sur celui qui survécu à Francfort, celle qui pleura sur ce quai de gare et tant d’autres qui ont vu la fin d’un monde sans certitude quant à la possibilité d’un futur. Et eu la bienveillance infinie de me le conter, sans trauma, avec ce don rare de transmettre ces choses sans névrose.

C’est tellement simple, enfantin même, et pourtant…

Pour vivre je dois « contrôler » ma glycémie, pour ce faire j’ai dû et dois la mesurer. Estimer ce que je mange. Assumer que l’habitude en la matière est mère de vertu et d’apaisement. Quitte à passer pour un jeune vieux avant l’heure. Me faire une foultitude d’injections, accepter d’échouer car – statistiquement – on finit toujours par échouer d’une demi- ou une unité. Apprendre, tous les jours, sur cette évidence pour un Michel Cymes qui ne sait plus compter jusqu’à deux. Questionner toujours, n’admettre aucune évidence tant que les hypothèses les plus tordues n’ont pas succombé.

Bah quoi ? C’est formateur aussi, heureusement que je supporte la caféïne (1/2 unité par tasse, sans sucre, ce serait trop simple sinon).

Comment un enfant, un adolescent, moi, a-t-il pu accepter cela sans devenir ni fou ni rejeter en bloc tout ou partie de la problématique ?

C’est tellement…

J’ai accepté, tout, sans aucune concession.

Parce que je savais que la beauté dans ce monde n’avait pas besoin de moi pour exister (droit à l’échec, sans concession non plus) mais…à une condition, une unique condition à laquelle il m’est impossible de renoncer sans détruire ma résilience et par là-même les fondations de « qui » je suis.

La vie, pas la mienne oh non ! Non, j’ai besoin de sentir la vie. De la voir, de la ressentir autour de moi. Le fourmillement des villes, le tintamarre du musicien qui joue dans le bar d’à côté, le rythme de la Ville. Ou, plus simplement, le vent dans les feuilles d’une forêt. M’assoir à une table de bistro, seul, et boire un café ou une pinte en observant le monde en mouvement autour de moi. Sentir la forêt et ses odeurs, ses rythmes et cycles qui forcent nos courtes vies à l’humilité.

C’est la chose, idiote sans doute, mais celle qui me fait et m’a fait accepter tous cela.

Et voilà que quasiment tout cela doit disparaitre, comme un mal nécessaire, souhaité – disent-ils – par une majorité. Pour endiguer un Mal contagieux. Malgré masques, gels, précautions assidues…

Sauf que la Peur, elle, une fois instillée pour présager de l’incapacité d’une majorité à faire preuve de civisme et d’intelligence, ne se confinera jamais.

En politique comme en diabétologie si l’on traite la personne avec méfiance et défiance, si on présage perpétuellement de son incapacité à comprendre, à bien faire, alors – statistiquement – elle finira précisément par agir comme « un con ». Sauf à avoir une sacrée confiance en soi…

Le 13 Avril à quelque centaine de mètre de chez moi à Lyon :

« Messieurs, que faites-vous assis (seul) sur ce banc (dans ce lieu désert) ? Je viens de finir mon footing, je rentre chez moi mais j’ai encore quelque minutes…Messieurs les parcs sont fermés par arrêté préfectoral. Ah ? Pardon je n’ai rien vu d’affiché alors… Cela a été dit à la télévision et radio… ( … ) Vous recevrez l’amende dans quelque jours. C’est difficile pour tout le monde messieurs. Merci pour votre coopération. »

Ah, Montesquieu et son Esprit des Lois…

Combien de fois, en une vie, peut-on faire face à cette « certi-intuition » qu’un si simple bonheur, est vécu pour la dernière fois ?

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  1. JOEL ADET

    Bonjour Matthieu,

    La résilience est une compagne pour éloigner le pire et accéder au moins pire sinon le meilleur, personne ne l’attend ni ne l’envisage mais un jour on croise son chemin et elle nous apporte la force de vivre à nouveau en regardant derrière nous s’éloigner ce qui nous a fait souffrir en estompant la souffrance de chaque épreuve.

    Elle nous accompagne et nous encourage, à nous de lui prêter attention, elle nous aide à considérer les épreuves de la vie comme des défis à relever afin de pouvoir les relativiser, comme bien d’autres j’ai souffert dans mon corps et dans mon esprit mais je suis toujours là avec et pour les miens.

    Joël

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