article publié dans le Figaro du 14 novembre

Iletin

Le 14 novembre, le monde célèbre la journée mondiale du diabète et la naissance de Frederick Banting, à l’origine de la découverte de l’insuline en 1922. Derrière l’éphéméride et les discours convenus, les appels intéressés au dépistage symbolisent tous les paradoxes de ce fléau : alors que ces campagnes mercantiles de recrutement ambitionnent de transformer chaque non diabétique en « pré-diabétique » médicalisé, l’insuline est plus que jamais inaccessible à une majorité de ceux qu’elle pourrait sauver et qui, sans elle, meurent dans d’atroces souffrances.

Rien ne justifie cela. Dans un geste altruiste, les inventeurs de ce médicament indispensable à la survie des patients avaient choisi de le laisser à la disposition de tous. En 1923, ils en avaient cédé le brevet pour un dollar symbolique à l’université de Toronto et convaincu Lilly, le laboratoire qui avait permis sa commercialisation, de ne pas revendiquer sa méthode de stabilisation du produit. “L’insuline ne m’appartient pas, elle appartient au monde entier”, déclarait Frédérick Banting. Aujourd’hui, grâce au génie et à la générosité de ce chercheur, trois sociétés se partagent un marché mondial de 30 milliards d’euros. La première d’entre elles, en 2015, a réalisé un chiffre d’affaires de 14,5 milliards pour un résultat net de 4,67 milliards. Grâce à leur politique tarifaire et leurs ententes, cette hormone est devenue inabordable pour la plupart des malades dans la grande majorité des pays pauvres, mais aussi dans les sociétés les plus riches comme aux Etats-Unis, où son tarif, triplé entre 2002 et 2013, est hors d’atteinte des personnes dépourvues de couverture sociale.

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En Afrique, il n’y a pas beaucoup de diabétiques insulinodépendants parce qu’ils sont morts. Moins de la moitié des enfants sont diagnostiqués et, lorsqu’ils le sont, leur espérance de vie est inférieure à un an, faute d’accès à l’insuline et à des soins adéquats. Une récente étude du Lancet portant sur 26 pays d’Afrique subsaharienne établit que cette hormone n’est disponible, dans le service public, que dans 30% des Etats, et son prix prohibitif. L’approvisionnement en insuline y mobilise, en moyenne, 17% des revenus d’un foyer, plus du double lorsqu’on y ajoute le coût des lecteurs de glycémie, des bandelettes et des seringues. Certains parents de jeunes enfants malades doivent se résoudre à ne pas les soigner et à les laisser agoniser afin de pouvoir faire vivre le reste de leur famille.

Au coût du médicament s’ajoute une pénurie de personnels de santé préparés à la détection et à la gestion de cette affection. Leur formation est souvent indexée sur la volonté de bailleurs de fonds internationaux pour lesquels le diabète, et les autres maladies non transmissibles, ne sont pas prioritaires. Alors que 70% des décès dans le monde leur sont imputables, avec les coûts afférents pour la collectivité, moins de 2% de l’ensemble des investissements financiers mondiaux en matière de santé leur sont dédiés.

Pourquoi seules trois entreprises dans le monde fabriquent-elles l’insuline ? Pourquoi les autorités de santé ne prennent-elles pas leurs responsabilités afin d’éviter qu’en 2017, près d’un siècle après sa découverte, des diabétiques meurent à cause de son prix, qu’aucune innovation majeure ne justifie ?

Gloire à Banting. Honte à ceux qui le trahissent.

Bertrand Burgalat

lien vers l’article : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/11/13/31003-20171113ARTFIG00197-bertrand-burgalat-l-insuline-trop-chere-la-rend-inaccessible-a-la-majorite-des-diabetiques-dans-le-monde.php

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