Diabète et méchant

Tout espérer, ne rien attendre.

LA PEAU DE CHAGRIN

La Peau de chagrinDans La Peau de chagrin de Balzac, le héros, Raphaël de Valentin, s’étant ruiné au jeu, découvre chez un antiquaire un objet maléfique – une peau de chagrin – qui lui permet d’accomplir tous ses désirs mais, se confondant avec sa vie, rétrécit à chaque souhait exaucé. Après s’être adonné quelque temps à divers excès, Raphaël finit par se terrer chez lui en s’efforçant de ne plus rien vouloir pour durer encore un peu.

Il ne me semble pas que l’analogie ait déjà été faite et, pourtant, la comparaison entre le héros de Balzac et nous, diabétiques de type 1, est tentante.

Comme Raphaël en effet, mais sans avoir jamais voulu conclure ce pacte faustien, le diabétique de type 1 se trouve du jour au lendemain tenir sa vie entre ses mains, investi du pouvoir de se nuire gravement, voire de se perdre, en cédant à des mouvements naturels – boire, manger, courir – anodins pour tous les autres. Il pourrait sans rire se suicider à coups de petits plats bio maison garantis sans gluten ou d’oranges fraîchement pressées, et il n’en faudrait même pas beaucoup pour l’anéantir.

Comme Raphaël, le diabétique de type 1 doit arbitrer mille fois par jour entre vivre vraiment et survivre longtemps, entre s’exténuer à rester humain et se préserver en devenant machine. Goûtera-t-il à ce plat nouveau, sain en diable mais dont la teneur en glucides lui est inconnue, ou bien préférera-t-il manger sempiternellement la même chose pour réduire au moins un peu l’incertitude ? Se resucrera-t-il préventivement pour être certain de mener à bien la tâche importante qui l’occupera durant les deux prochaines heures, quitte à risquer une franche hyperglycémie, ou bien prendra-t-il le risque d’être terrassé par l’hypoglycémie en plein travail ? Rentrera-t-il sagement chez lui en métro, pour faire durer un peu cette belle glycémie à 1g, ou bien prendra-t-il le vélo au risque de tout perturber ? Car je vais vous révéler un secret bien gardé : l’exercice physique est peut-être bon pour les diabétiques de type 1 au global, mais certainement pas pour leurs glycémies, qu’il déstabilise de manière massive.

Les adiaphora des autres deviennent pour le diabétique de type 1 des enjeux de vie ou de mort à pas si long terme et, quoi qu’il décide, il y aura toujours des personnes bien intentionnées pour le lui reprocher. Peut-être même son médecin, qui trouvera son hémoglobine glycquée trop haute s’il mène une existence trépidante au prix de quelques hyperglycémies, ou alors sa vie trop triste s’il obtient une hémoglobine glycquée normalisée au prix d’une discipline de fer, ou le contraire et l’inverse, et réciproquement ou les deux à la fois.

Le diabète de type 1, en l’état actuel des traitements disponibles, est une expérience existentielle intense, cruelle, radicale.

« Marie-toi, tu le regretteras ; ne te marie pas, tu le regretteras également ; marie-toi ou ne te marie pas, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu te maries ou que tu n’en fasses rien, tu le regretteras dans les deux cas. Ris des folies du monde, tu le regretteras ; pleure sur elles, tu le regretteras également ; ris des folies du monde ou pleure sur elles, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu ries des folies du monde ou que tu pleures sur elles, tu le regretteras dans les deux cas. […] Pends-toi, tu le regretteras ; ne le fais pas, tu le regretteras également ; pends-toi ou non, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu te pendes ou que tu n’en fasses rien, tu le regretteras dans les deux cas. Tel est, Messieurs, le résumé de tout l’art de vivre. » écrivait Kierkegaard, mi-sérieux mi-plaisant.

Tel est, en tout cas, le résumé de l’art de vivre du diabétique de type 1 en France en 2018 : vivre certes, mais en étant constamment pris entre les injonctions contradictoires de la normalisation glycémique et de la normalisation sociale.

Il ne serait peut-être pas mauvais que certains médecins s’en avisent, qui se proclament philosophes et prétendent nous sauver de nous-mêmes en renforçant nos volontés supposées défaillantes, alors qu’elles sont plus souvent déchirées.

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LA TRESIBA RATTRAPE SON RETARD

  1. Rémy ROMELOT

    Très juste ! Très bien vu, la vie d’un DID est en pilotage manuel, sans cesse à chercher la meilleure trajectoire, tout en regrettant souvent de ne pas avoir pris l’autre option. Un casse tête épuisant, très souvent peu compris des blouses blanches.

  2. J’ai peut être la chance après autant d’année d’avoir passé les différents stades.. Des analyses d’urine aux premières tigettes puis le capteur et depuis quelques mois la pompe.Je dirai un accompagnement.. Un apprivoisement… Une philosophie de vie… Courage. Pour les maladies non visibles peut être plus
    depuis les capteurs…

  3. Recoules

    Tout à fait d’accord…..je trouve qu’on noirci beaucoup le tableau. J’ai également connu toutes les évolutions et c’est bien plus facile de vivre le diabète en 2018 comparé à 1979!!!! Certe c’est une contrainte mais rien à voir avec la dialyse et le régime qui leur est imposé ou la chimiothérapie et ses effets secondaires….Et j’ai la chance d’avoir aucune conséquence liée au diabète ( hormis la fatigue quasi permanente) , 2 filles en pleine forme….sûrement grâce à l’évolution du traitement si souvent décrié. Je comprends que ce n’est pas tous les jours facile mais la critique est facile. Moi je dis merci aux chercheurs et certe les médecins ont parfois le jugement facile mais ils savent aussi que les DID sont bien souvent hyper autonomes et hyper à l’écoute de leur corps….faut juste arriver à transformer l’essai ( la contrainte devient notre force)!

    • Bertrand Burgalat

      Oui oui oui, certes. Personne ne « décrie » ici le traitement qui nous maintient en vie, et nous avons tous une perception différente de notre maladie, mais puisque tout va si bien on se demande pourquoi, par exemple, les assurances font tant de chichis… Nous ne sommes pas des ingrats, juste des malades responsables qui essayent d’être autre chose que des consommateurs de traitements.

    • Bonjour, je pense que dire que le diabète type 1 est moins pire que les chimiothérapies c est incorrect et trompeur. Car les 2 attaquent le corps de la même façon et le sucre est le principal coupable dans l affaire car c est a cause de la mauvaise absorption de l énergie dans les cellules que tout se dérègle.
      D ailleurs pour ta gouverne, les maladies métaboliques concernant le diabète type 1,le cancer et le Type 2…
      Le cancer est le développement massive et anarchique des  » mauvaises cellules  » qui vont impacter les bonnes cellules et la chimio permet de tuer les mauvaises cellules pour être en rémission et tout cela est lie a un problème immunitaire mais dans le diabète type 1, il y a apoptose (destruction) des cellules beta des ilots de langherans lie a un dérèglement du système immunitaire et ses 2 maladies se rejoignent parfaitement. Cependant dans le diabète type 1, il n y a pas d espoir ou rémission pour aller mieux et je n ai pas évoqué le contrôle incessant et les dégâts occasionnés dans l organisme que la plupart des malades ignorent( maladie de basedow , bièrmer, cancer de l estomac, artère bouché, système nerveux central abimé…) la liste est longue mais c est une maladie dangereusement silencieuse et destructrice .

      Donc le diabète type 1 est la pire des maladies qu on peut avoir (moral, sociale, spiritualité et vie détruite)

  4. Grégoire BOUDSOCQ

    Ziva ! Adiaphorum toi-même !
    Salut Frédérique , ton article , il est trop top C ‘ est très réaliste parce que , excuse mon narcissisme , mais dans le genre rcroquevillé je me pose là . (40 ans de diabète , trop esquinté pour bosser pas assez pour être invalide cat.2).
    La peau de chagrin est une métaphore très juste . Le portrait de Dorian Gray ou la boîte (à bonbons) de Pandore çà marche aussi , mais moins bien.
    # jaloux comme un pou !
    On se reverra quand j’ aurai mes cristallins tous neufs .
    XXX Grégoire

  5. Emmanuelle

    Merci pour ce texte! C’est tellement ça…

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