Voici le texte de l’entretien qui vient d’être publié en deux parties sur le site de Causeur :
Comment les diabétiques, sujets à risque, vivent-ils la crise du Covid-19 ? Quel est leur quotidien ? La recherche a-t-elle progressé ? Que fait l’Etat pour défendre les malades face aux intérêts de Big Pharma ? Chanteur et producteur à la scène, diabétique de type 1 à la ville, Bertrand Burgalat nous livre son point de vue iconoclaste. L’auteur de Diabétiquement vôtre (Calmann-Lévy, 2015) et fondateur de l’association Diabète et méchant a sa piqûre d’insuline dans la poche, certainement pas sa langue.
Daoud Boughezala. Aux côtés de l’âge avancé et de l’obésité, le diabète est présenté comme un facteur de co-morbidité au Covid-19. Autrement dit, un diabétique atteint par le virus aurait plus de chances de développer une forme sévère de la maladie. Diabétique de type 1 depuis votre adolescence, avez-vous changé de quotidien depuis l’irruption de la pandémie ?
Bertrand Burgalat. Quand, dans son discours du 12 mars, le Président de la République a cité « celles et ceux de nos compatriotes qui sont âgés ou affectés par des maladies chroniques comme le diabète, l’obésité ou le cancer », j’aurais pu me réjouir que cette affection si mal comprise soit évoquée, pourtant j’ai été atterré : sa sollicitude, loin de protéger les plus fragiles, risquait de leur coller une cible dans le dos et de les désigner comme individus à problèmes, à laisser de côté en cas de saturation des services d’urgence. C’est exactement ce qui s’est passé, et c’est ainsi que son message jésuitique a été entendu puisque dès le 17 mars, Anne Geffroy-Wernet, Présidente du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi, a déclaré à La Croix : « Il y a trois types de profils. Ceux dont on sait qu’ils vont mourir, quoi qu’on fasse : ce sont des morts «inévitables ». Ensuite, les patients qui ont déjà des pathologies sévères, qui représentent des morts « acceptables ». Enfin, les morts « inacceptables » : les patients jeunes et sans antécédent. Notre objectif est d’avoir zéro mort inacceptable. » On peut dire que l’objectif a été atteint, la surprotection des personnes les moins exposées comme les enfants allant de concert avec l’abandon des pensionnaires des Ehpad, morts pour la plupart sans aucun soin, après avoir été contaminés par des personnels sous-équipés. S’il y a eu beaucoup de diabétiques de type 2 parmi les victimes, c’est d’abord parce que cette forme de diabète est souvent associée à d’autres facteurs aggravants comme l’hypertension, l’obésité et d’autres pathologies cardiovasculaires.
Depuis le début de la crise sanitaire, les experts médicaux, relayés par la classe politique, hésitent entre un discours catastrophiste et un ton infantilisant, comme s’il s’agissait de tancer des petits enfants indisciplinés pour combattre le virus. Ces travers vous rappellent-ils l’attitude qu’adopte une partie du corps médical face aux patients diabétiques ?
Le diabète est un miroir de notre société, qui concentre bien des paradoxes actuels. Il y a longtemps que nous devons endurer les approximations d’experts perclus de conflits d’intérêts, des doctrines médicales alignées sur l’offre et le marketing des équipementiers, l’infantilisation par le langage (acceptation, déni, observance etc) ou par des services de disease management comme Sophia ou MyDiabby, les illusions et les risques de la santé connectée, les injonctions irréalistes des technocrates de l’“Education Thérapeutique du Patient” ou les inepties d’un Michel Cymes sur des chaines de service public. Il y a aussi le « programme du Conseil National de la Résistance » (qui n’a jamais eu de programme) invoqué dès qu’on remet en cause les dévoiements de l’assurance-maladie, ou les annonces boursières de Sanofi, l’Areva du diabète, qui vend la peau de l’ours et le vaccin avant même qu’il existe. Si notre « merveilleux-système-de-santé-que-le-monde-entier-nous-envie » (sans jamais aller jusqu’à l’imiter), avec sa piétaille sous-dotée et ses nomenklaturistes, s’est effondré en quelques jours, ce n’est pas par manque de moyens : le diabète, qui représente 20% des dépenses de santé en France, l’illustre, avec des traitements vendus et remboursés 1000% au-dessus de leur prix de revient et ses millions dépensées en influence. Car les conseilleurs ne sont pas les payeurs, mais ils peuvent parfois être payés, comme le diabétologue André Grimaldi, toujours présent quand il faut villlipender l’hôpital malade de la rentabilité, comme si l’hôpital était rentable, comme si un pays qui consacré près de 12% de ses ressources à la santé était un pays néolibéral. Ce discours séduisant, fondé en apparence sur des principes louables, n’aboutit qu’à l’accroissement des dysfonctionnements. Si nous voulons une santé véritablement au service de tous, il faut moins d’argent, moins de dilapidations et moins d’économies de bouts de chandelle. La santé publique en France n’est pas malade de l’État ou de l’ “ultralibéralisme” mais de l’incapacité du premier à arbitrer en fonction de l’intérêt général, sans que ses décisions soient altérées.
Pouvez-vous expliquer aux néophytes la différence entre diabètes de type 1 et de type 2 ? On présente souvent le second comme moins grave mais, comme vous l’a fait remarquer le Dr Grimaldi, certains malades dits légers sont sous dialyse…
Les mots diabète et diabétiques désignent des maladies et des réalités très différentes avec plusieurs variantes comme Lada ou Mody. Le diabète de type 1, insulinodépendant, 5 à 10 % des cas, le plus souvent sans antécédents familiaux, est une maladie auto-immune : notre corps, inexplicablement, détruit les cellules bêta qui permettent la sécrétion d’insuline. Sans cette hormone nous mourrons, c’est pourquoi nous devons nous l’injecter, en essayant de suivre au plus près les variations de notre glycémie. Chez le diabétique de type 2 le pancréas fonctionne toujours, mais, trop sollicité par l’organisme, il peine à délivrer l’insuline en quantité suffisante. L’action du sucre est plus sournoise, souvent associée à d’autres pathologies qui amplifient ses conséquences.
La confusion entre les types est entretenue par ceux qui vivent du diabète, y compris par les associations officielles comme l’Association Française des Diabétiques car cela leur permet de parler au nom de 4 millions de malades en France et de 400 millions dans le monde alors qu’ils n’ont qu’une poignée d’adhérents. Pour les patients la confusion est désastreuse : pour les diabétiques de type 1, soumis à un traitement très contraignant, accablés de passer pour des patachons qui mangent trop de sucre, et pour les diabétiques de type 2, sur lesquels on fait peser la fatalité qui entoure le diabète de type 1, alors que dans la plupart des cas chez eux il s’agit plus d’un symptôme, qui peut être appréhendé positivement. Dans les deux cas, la culpabilisation règne : pour les type 1 culpabilisation d’avoir du mal à bien gérer un traitement complexe que les diabétologues eux-mêmes seraient le plus souvent incapables d’appliquer, et pour les type 2 culpabilisation de ne pas être assez « observants », avec en plus une forme de mépris social pour des populations souvent associées à la sous-culture, la malbouffe et la sédentarité.
Vous qui avez appelé votre label Tricatel, du nom de l’industriel véreux joué par Julien Guiomar dans L’Aîie ou la cuisse, imputez-vous l’explosion mondiale du diabète à cette généralisation de la malbouffe et de la sédentarité ?
Le diabète de type 2 progresse dans le monde en même temps que l’alimentation à base de féculents et de céréales, Il a moins besoin de médicaments, pour le faire reculer, que de vaincre l’acharnement des autorités de santé à enjoindre les diabétiques et la population de se gaver de sucres dits lents ou complexes, ce qui est la meilleure façon de le propager.
Dans votre livre Diabétiquement vôtre (Calmann-Lévy, 2015), vous racontez avoir découvert votre diabète à 11 ans, après un vaccin contre la variole. Est-ce une coïncidence ?
Si les causes du diabète de type 2 sont assez clairement établies, l’apparition du diabète de type 1 reste un mystère, et nous avons tous tendance à relier son déclenchement à des chocs, émotionnels ou médicaux. Il y a probablement un terrain favorable qui est ensuite exacerbé par ces chocs, et un vaccin comme celui contre la variole, qui a été supprimé peu après qu’on me l’ait administré, a pu jouer ce rôle (j’avais reçu ce vaccin sur ordre de l’Education nationale, qui menaçait de me déscolariser le cas échéant). Ce qui m’avait immédiatement frappé en 1975, en revanche, c’est que l’hypothèse avait été immédiatement rejetée, alors qu’il est aujourd’hui avéré qu’il était extrêmement toxique et n’avait plus aucune utilité, la variole ayant disparu. Comment espérer vaincre une maladie, le diabète, dont on ne cherche pas à comprendre l’apparition? Et comment poser la question du rapport bénéfice-risque de la vaccination contre la variole en 1975 sans passer pour un témoin de Jéovah ou un antivaccin? L’anticonspirationnisme est devenu une forme de conspirationnisme, il y a des gens qui voient des complots partout, et d’autres qui voient des conspirationnistes partout, et on finit par devoir s’excuser d’avoir eu sa vie ainsi altérée.
Jusqu’aux années 1980, les médecins peinaient à accompagner les diabétiques. Depuis la découverte de l’insuline au début du XXe siècle, la recherche patinait. Comment se fait-il que vous ayez découvert le stylo à Insuline en Yougoslavie avec Laibach alors que la France s’en tenait encore aux seringues et aux aiguilles longues comme des pieux ?
Il y a bien sûr d’excellents praticiens, mais la diabétologie est, dans son ensemble, une discipline paresseuse. C’est une médecine de congrès, avec un poids des prébendiers accentué par l’open-bar et la rente du remboursement à 100% des maladies chroniques. L’insuline n’a d’ailleurs pas été inventée par un diabétologue mais par un chirurgien orthopédiste au chômage. C’est d’ailleurs ce qui me rend relativement optimiste pour les années à venir : ce sont les progrès dans d’autres domaines, et notamment pour les autres maladies auto-immunes, qui permettront des innovations de rupture et la guérison : le diabète est la seule maladie, à ma connaissance, dont les spécialistes estiment, non sans gourmandise, qu’elle ne pourra jamais être vaincue, tout en nous assénant que “ça se soigne très bien maintenant”. C’est encore un point commun avec le Covid, la théorie, généralement, suit les produits. Et quand le principe de précaution enjoint des enfants de garder l’aiguille enfoncée 20 secondes lorsqu’ils se piquent, afin d’absorber la dernière goutte d’insuline (alors que trois ou quatre secondes suffisent), ce mélange de sottise et de méchanceté anticipe bien des décisions récentes.
Un jour, Nick Cave vous a surpris en train de vous faire une piqûre d’insuline, croyant que vous vous droguiez malgré vos dénégations. Socialement, le diabète est-il lourd à porter ?
J’avais également travaillé avec Malcolm McLaren et lui aussi s’était inquiété de me voir me piquer, pourtant il en avait vu d’autres… Ce qui demeure difficile c’est l’incompréhension, et d’abord, pour le diabète de type 1, l’ignorance, y compris des soignants, puisque la plupart des diabétiques insulinodépendants ne sont encore diagnostiqués qu’au moment crucial où ils tombent en acidocétose et dans le coma. La difficulté pour les diabétiques insulinodépendants est que plus ils se traitent bien plus leur affection est visible puisque cela implique plus de contrôles, de piqûres et d’attention. Comment expliquer qu’on est diabétique et qu’on doit manger des choses sucrées quand on a trop d’insuline? Un diabétique insulinodépendant doit constamment jongler avec une multitude de paramètres pour ajuster lui-même son traitement. ce n’est pas facile lorsqu’on travaille sur un chantier, dans une boutique ou un supermarché. Et il faut déjouer la méfiance des employeurs, expliquer qu’on peut travailler « comme les autres », sans pour autant être « comme les autres », car l’intégration se fait souvent au prix d’une minoration de nos difficultés.
Le permis de conduire a longtemps été une hantise pour les diabétiques, soumis à une évaluation arbitraire tous les cinq ans. Examinés par des praticiens incompétents (il pouvait s’agir de sexologues ou d’ORL), certains se sont vus interdire de conduire, avec les conséquences professionnelles qu’on peut imaginer, pour une réponse mal interprétée. Le législateur a modifié le texte, de façon encore assez jésuitique puisque les diabétiques obéissants, qui s’étaient déjà soumis à ces visites, doivent continuer de les passer, alors que les mauvais élèves comme moi, qui n’avais jamais rien déclaré, en sont dispensés et peuvent se contenter d’un certificat médical. Les diabétiques sont encore écartés d’emblée de bien des professions, de l’armée, de la magistrature ou des douanes. Une proposition de loi UDI-Agir destinée à supprimer les interdictions professionnelles de principe, a été votée par l’Assemblée nationale cette année. Très bien écrite, elle nous ramène dans le droit commun et la médecine du travail. Reste la question des assurances, et notamment des prêts immobiliers. Nous payons des surprimes démentes, et ne sommes couverts qu’en cas de décès. La convention Aeras ne résout rien, et les assurances scélérates proposées par l’Association Française des Diabétiques – FFD sont encore plus défavorables que celles que nous obtenons par nous-mêmes. C’est pourquoi nous demandons, avec Diabète et Méchant, l’association que j’ai cofondée, l’extension de la loi sur le droit à l’oubli, qui ne permet pas d’oublier qu’on a eu un cancer, mais de le mentionner.
Il y a quelques années, la commercialisation du patch FreeStyle Libre a bouleversé le quotidien de millions de diabétiques qui avaient jusqu’alors recours aux bandelettes pour surveiller leur taux de glycémie. Cet accessoire est-il remboursé par la Sécurité sociale ? Plus globalement, la Sécu couvre-t-elle correctement les diabétiques alors que leurs équipements coûtent de plus en plus cher ?
Le diabète, toutes catégories confondues, est une Affection de Longue Durée, ce qui signifie que tous les traitements sont pris en charge à 100% par l’assurance-maladie. C’est à la fois formidable et très dangereux si la puissance publique ne négocie pas correctement les tarifs. Comment peut-elle le faire quand les experts travaillent pour les industriels? Cette croyance qu’un expert sans liens d’intérêt est un expert sans intérêt perturbe grandement l’action des autorités de santé. Non seulement elle érode les comptes publics, notamment avec les pompes à insuline ou les bandelettes d’analyse, survendues, mais l’inflation du prix de l’insuline provoque la mort injustifiée de la moitié des diabétiques de type 1 de la planète : l’insuline, inventée il y a près d’un siècle, et dont les découvreurs avaient souhaité qu’elle ne soit pas brevetée pour favoriser sa diffusion, est aujourd’hui entre les mains de trois sociétés, Novo Nordisk, Sanofi et Eli Lilly, qui contrôlent son accès et son prix, totalement injustifié puisque, selon les pays, l’insuline est vendue entre 10 et 60 fois son coût incluant la recherche et une marge confortable. C’est une honte et un crime qui devrait conduire les dirigeants de cet oligopole devant la justice pénale.
Cette question dépasse les clivages politiques habituels (on peut l’expliquer sous l’angle du capitalisme mais aussi par l’absence de concurrence) mais le seul parlementaire qui s’y intéresse est François Ruffin. Diabète et Méchant représente en France l’organisation T1 International et sa campagne #insulin4all pour l’accès à l’insuline. Nous travaillons également avec l’ONG Santé diabète, impliquée en Afrique, le Formindep, l’Observatoire pour la transparence dans les politiques du médicament, Open Insulin, qui tentent de mettre au point une insuline en open source et l’Apesac, qui se bat courageusement pour que Sanofi assume ses responsabilités dans l’affaire de la Dépakine.
Avec les progrès de la médecine, à condition de respecter un régime alimentaire équilibré, un diabétique peut-il aujourd’hui vivre quasi-normalement en Occident ?
Il faut encore une fois distinguer entre les formes de diabète. La plupart des diabétiques de type 2 peuvent vivre « normalement » partout dans le monde, mais tant qu’on s’obstine à leur parler comme à des imbéciles, il leur est difficile de sortir de la spirale d’une alimentation à base de féculents et d’hydrates de carbone qui fatigue leur organisme et leur pancréas.
Pour les diabétiques de type 1, la question de l’accès à l’insuline ne se pose pas uniquement au Sud, elle concerne également, dans des pays comme les Etats-Unis, où le prix de l’insuline a triplé en dix ans, ceux qui n’ont pas les moyens d’acquitter une assurance-maladie, sans rentrer dans les critères du Obamacare.
Cela fait 45 ans que je suis diabétique et j’ai l’impression que rien n’a changé depuis le CNTS et le combat courageux de Jean Peron Garvanoff et Anne-Marie Casteret : les organismes changent de nom à chaque scandale, un nouveau texte est voté, comme la loi HPST après le Mediator, immédiatement vidée de sa substance, mais l’absence de séparation entre associations de patients, praticiens, industriels et autorités persiste.
Parler aujourd’hui d’“Etat-stratège”, de souveraineté (tout en répétant comme en 1919 “l’Allemagne paiera”…), vitupérer contre “Big Pharma” et les “multinationales” et réclamer plus d’investissements sans s’interroger sur l’affectation des fonds revient à perpétuer l’économie de prébendes.
Superbe synthèse :-), Merci.
Et que dire du résonnement d’une infantilisation d’actualité quand on a du soi-même s’en extraire pour, à défaut d’être indépendant, demeurer suffisamment libre et digne ?
Faudrait poser la question à M. Cymes sur un plateau, sans jeu de mot…
Vous êtes sur le site de l'association Diabète et méchant (en savoir plus).
Notre objectif : répondre aux inexactitudes et aux poncifs sur le diabète, notamment dans ses formes minoritaires et atypiques (type 1, LADA, MODY, etc.), en donnant la parole aux malades, à leurs proches et aux soignants.
Diabète et méchant soutient le projet Open Insulin et représente en France T1International, ONG consacrée à l’accès à l’insuline, et sa campagne #insulin4all.
Matthieu
Superbe synthèse :-), Merci.
Et que dire du résonnement d’une infantilisation d’actualité quand on a du soi-même s’en extraire pour, à défaut d’être indépendant, demeurer suffisamment libre et digne ?
Faudrait poser la question à M. Cymes sur un plateau, sans jeu de mot…
Jean Claude
Merci Bertrand .
Que de vérités dans vos propos
Ah! si je n’étais pas médecin !