Parler de son diabète au travail n’est pas toujours simple et, de leur côté, collègues et encadrants n’ont pas toujours les informations nécessaires pour agir de manière adéquate. Afin de contribuer à améliorer cette situation, je retranscris ci-dessous mon intervention dans le cadre de la journée « Engagement citoyen » tenue à l’Institut Régional d’Administration de Lille le 14 février 2020.
Aujourd’hui, je ne suis pas là pour vous parler seulement en qualité d’attachée, mais aussi en qualité de femme diabétique.
Ce n’est pas forcément facile ou confortable de s’exposer volontairement avec sa carte vitale devant toute une assemblée qu’on recroisera pendant 40 ans dans les joyeux couloirs des administrations d’État, mais ça me semble important.
Pourquoi ?
Parce que toute personne qui est l’heureuse propriétaire d’un handicap qu’on dira « invisible » a pâti un jour ou l’autre de la maladresse, de l’ignorance, et bien sûr parfois de l’indifférence de sa hiérarchie à l’égard de son affection.
Parce que l’administration se met à l’heure de l’inclusion et de la prise en compte des différences, et qu’il tient à chacun d’entre nous de participer à l’évolution des mentalités, et donc des pratiques.
Commençons par le commencement :
- Le diabète, c’est quoi ?
« Tu as trop ou pas assez de sucre ? », « tu es très diabétique toi ? », « tiens ma grand-mère aussi est diabétique !!! »
= Il y a plusieurs types de diabète.
Dans mon cas, le type 1, c’est l’arrêt total de la production d’insuline, hormone régulatrice de la glycémie/du taux de sucre.
Je ne suis ni très diabétique ni pas trop diabétique, je peux manger du sucre si je le décide moyennant une injection proportionnée d’insuline, et votre grand-mère a probablement un diabète de type 2, plus fréquent chez les personnes âgées.
- Le diabète au travail, qu’est-ce que ça change ?
= Le traitement au quotidien suppose un nombre certain de manipulations inévitables qui prennent du temps et qui parfois doivent s’effectuer dans des circonstances pas toujours opportunes. La vérification du niveau de sucre dans le sang, par le biais d’une piqûre au bout du doigt, ou pour les plus modernes d’un scan du capteur qui est planté dans le bras.
L’injection d’insuline aussi, en stylo, avec d’énormes aiguilles qui mesurent entre 3 et 7 mm et qui se plieront si d’aventure elles venaient à effleurer autre chose qu’un épiderme, donc pas d’inquiétude pour votre costume en alpaga.
Certaines personnes portent en leur lieu et place des pompes à insuline, qui nécessitent parfois quelques opérations de maintenance demandant un peu d’intimité. Les toilettes n’étant, vous en conviendrez, pas le lieu le plus propre, ni le plus pratique, pour changer ou nettoyer un équipement médical.
= Les hypoglycémies et leur lot d’émotions
Lorsqu’un diabétique manque de sucre, il fait ce qu’on appelle une hypoglycémie. C’est le même mot que pour quelqu’un de normal, mais ça fait autrement plus d’effet.
Pour faire simple, quand je manque de sucre, quand un diabétique manque de sucre, à savoir lorsque ma glycémie est inférieure à 0,70mg/dl, mon corps enclenche le grand dispositif d’alerte qui s’enclenche aussi chez vous lorsque vous faites une chute, que vous avez un accident, une grande peur, ou un gros coup de colère : il me diffuse gentiment une bonne grosse dose d’adrénaline pour m’avertir.
L’enfer est pavé de bonnes intentions… Car au-delà de la fatigue physique et mentale qu’on ressent en hypoglycémie, l’adrénaline énerve, elle met en situation de détresse émotionnelle, ou de forte irritabilité. Et c’est une fatigue supplémentaire à gérer.
Selon les cas, selon les personnes, selon les circonstances, c’est plus ou moins long, plus ou moins facile à surmonter, et plus ou moins remarquable. Dans tous les cas, c’est impactant.
Il y a onze ans, quand je suis devenue diabétique, je me remettait d’une hypo en 30 minutes. Aujourd’hui, ça peut parfois prendre une demi-journée, voire un jour entier. C’est une donnée à avoir si vous encadrez un agent diabétique : quand il vous dira pudiquement « attends deux secondes, j’arrive, je viens de faire une hypo » prenez bien la mesure de sa phrase.
En dehors des hypos, il y a les hyperglycémies, qui consistent en une surcharge de glucides dans le sang. Moins visibles, elles sont également fatigantes, en ce qu’elles nous endorment.
D’où cette bonne vieille somnolence post-prandiale : si Gégé s’endort systématiquement au briefing de 13h30, peut-être que le décaler à 14h après un café serait plus pertinent.
= La fatigabilité est la dernière dimension de cette maladie qu’il faut prendre en compte. Entre les hypers, les hypos, les manipulations diverses, on est parfois aussi fatigués mentalement que physiquement.
Et que cette fatigabilité plus grande doit être prise en compte, si l’agent le demande ou si vous constatez un épuisement chez lui.
Ce qui m’amène à mon dernier point :
- En tant qu’encadrant, qu’est-ce que je peux faire ?
= Je peux écouter > écouter mon agent lorsqu’il arrive dans le service, dès qu’il me signale sa maladie ou que je la remarque.
= Je peux proposer > lui proposer un signalement à la médecine du travail pour qu’il se sente en sécurité en cas de pépin, mais aussi l’encourager à se déclarer travailleur handicapé si ce n’est pas déjà fait.
= Je dois respecter son souhait de communiquer ou non avec l’équipe à propos de sa maladie. Certains auront besoin d’être discrets à ce propos, de se cacher, quand d’autres préféreront pouvoir s’injecter de l’insuline sans se cacher et faire de l’humour de diabétique pour dédramatiser.
= Je peux aussi intervenir > intervenir pour expliquer à sa place en cas de besoin, ou pour couper court à une question que je sais gênante pour lui, et enfin je peux intervenir pour le protéger en cas d’exposition envers des acteurs extérieurs à l’équipe.
Petit exemple :
Notre Gégé de tout à l’heure se retrouve à devoir présenter sa nouvelle procédure à l’occasion d’une réunion interservices, avec N+1, 2, 3 et consorts. Quand soudain, Gégé sent papillonner en lui les prémices d’une belle grosse hypoglycémie. Le front mouillé de sueur, il s’excuse alors, demande à s’asseoir, et vous passe ses notes.
Devant le regard désobligeant du N+78 qui est venu du bout de la rue en Uber, il sera alors de bon aloi que vous repreniez le flambeau en trouvant un petit subterfuge pour minorer la gêne de Gégé, cela pourra aller du « merci de me faire l’honneur de présenter ton travail » pour les plus prudes, à la petite blague potache pour les plus aventuriers.
Pour conclure, je tiens à souligner que si le diabète fatigue il n’entame en rien les capacités intellectuelles ni les capacités de travail de l’individu concerné. Simplement il demande quelques ajustements différenciés de la part de l’encadrant.
J’ajouterai que pour motiver son agent et l’intégrer à l’équipe, il n’y a à mon sens rien de tel que de reconnaître ses particularités sans en faire des stigmates.
Bertrand Burgalat
Merci Léa pour ce travail qui va être d’une grande utilité pour beaucoup d’entre nous.
Mouric
Un grand merci Léa, pour cet article!