DT1 et petites contrariétés administratives
Ou les tribulations tragi-comiques des commissions médicales 

Permis

J’ai passé mon permis de conduire il y a trente ans, en 1986. A l’époque, il ne me serait pas venu à l’idée de préciser que j’étais DT1, d’ailleurs, on ne me le demandait pas.

En 1990, il devint nécessaire que j’obtienne le permis E, qui permet de tracter. A l’époque, il ne s’agissait que d’un examen médical.

Je suis alors reçue à la sous-préfecture d’une petite ville près de Paris, et là, avant de commencer, je dois remplir un petit questionnaire … dont une case à cocher -ou pas- parmi toute une liste de tares : « Êtes vous diabétique? »

Une brochette de quatre mâles (tous médecins?), assis derrière une longue table, m’observent quelques instants avant de me dire « Ah, alors vous êtes diabétique ? Depuis combien de temps ? D’autres dans la famille ? ». Ils me prient alors de me mettre en slip et soutien-gorge. Je reste debout face à eux. Je redoute la fouille à corps !

Mes mensurations devaient correspondent aux critères d’obtention. Mon mètre soixante seize et ma maigreur peu appétissante (savamment entretenue par une légère hyperglycémie chronique plus ou moins consciente) achèvent de les convaincre de mon aptitude à la conduite.

Me voilà avec le précieux sésame entre les mains, et je ne demande ni mon reste ni explications.

C’est surréaliste … aucun examen de base, ou lecture de l’alphabet au mur. Je sais néanmoins qu’il me faudra repasser devant une commission dans cinq ans, et je comprends que, désormais, ce ne sera plus pour le seul permis E, mais pour valider mon permis dans sa totalité.

Je comprends également que je vais devoir modifier mon rapport à la maladie si je veux préserver ma vue, et vais petit à petit devenir Dia-bête et disciplinée. Mais comme nous le savons tous, nous ne sommes pas forcement récompensés à la hauteur de nos efforts !

Par la suite, à trois reprises, je me suis présentée à la Préfecture de Paris. Chaque fois, sans difficultés ni demande d’examens quelconque (si ce n’est une prise de sang attestant que mes gamma GT étaient dans la norme, et une lecture des lettres au mur) je voyais mon permis renouvelé pour cinq ans.

Les choses se sont compliquées quand je suis arrivée dans la région où je vis actuellement. Petite sous-préfecture, administration un peu poussive et pas très réactive, parcours du combattant avant de recevoir la convocation.

Plutôt que de vous narrer les faits, je vous joins le courrier adressé à la sous-préfète à l’issue de ce rendez-vous. Il faut vous préciser que le verdict rendu par les deux médecins m’ayant reçue, avait été de m ‘accorder le permis pour six mois… c’est pourquoi en plus de faire appel, j’ai exprimé mon ressentiment au haut fonctionnaire qui, cela ne vous étonnera pas, n’a jamais daigné me répondre.

Alors, je suis finalement passée devant la commission d’Appel, où deux aimables médecins m’ont accueillie dans un joli cabinet propret. Ils n’ont pu s’empêcher (ne pas faire la maligne, l’enjeu est de taille !) de me poser les deux sempiternelles questions :

Est ce que vous fumez Madame ?

“Ah non, j’ai arrété il y a longtemps, et je me sens tellement mieux !!”

Est ce que vous buvez Madame ?

“ Eventuellement, pour fêter le Nouvel An, je trempe mes lèvres, et encore …”

C’est très bien Madame, car vous devez savoir que boire et fumer est extrêmement nocif pour les diabétiques.

C’est bien connu, le DT1 est un ascète qui ne succombe à aucune tentation, car il est tout à fait conscient que c’est “mauvais pour lui”. En définitive, c’est presque une faveur que lui a accordé la nature que de le gratifier de cette saine affection, non ? Puis comme il a intégré depuis longtemps certaines notions de privations alimentaires, un peu plus un peu moins… Moi même, pur produit de l’éducation des jeunes diabétiques des années 80, j’ai subi la lobotomie en vigueur à l’époque ; le seul mot d’ordre était “ Oublie à jamais les douces saveurs des pâtisseries et des bonbons. Régime Régime Régime !! et collations … ”.

Toujours est il que je repars avec mes cinq ans…

Je doute que le courrier adressé à la sous-préfète ait eu un quelconque impact, mais en juin 2015, lorsqu’il m’a fallu à nouveau passer la visite, on m’a indiqué que, dorénavant, cela se faisait en ville, en consultation, avec un des médecins habilités. On me fournit une liste qui comporte les noms d’une dizaine de praticiens. J’appelle alors mon généraliste qui, connaissant mon caractère, et ses confrères, me précise quels sont ceux que je dois ABSOLUMENT éviter.

Me voilà donc reçue par un affable monsieur, devant lequel, toute fière, je pose sur le bureau ma liasse d’examens : un bilan complet urinaire, un bilan complet sanguin, un bilan complet cardio, avec test d’effort, un bilan complet ophtalmo ET un champ visuel, ainsi que mes carnets d’auto-surveillance. Ne manque RIEN.

Je vous le donne en mille, il ne jette pas le moindre coup d’oeil à tout cela. Il se contente de prendre ma tension et de me faire lire les lettres au mur… Je repars avec mes cinq ans.

En 2014, ma candidature a été retenue pour participer à un stage-commando de cinq jours, organisé par mon CHU ; il est censé nous familiariser à l’Insulino-Thérapie Fonctionnelle.

J’y fais la connaissance de trois DT1, dont deux totalement ignorants et allergiques aux contraintes du permis de conduire.

Je m’entends dire “Ah mais si l’on devient diabétique après avoir eu son permis (ce qui était le cas de deux d’entre eux) ce n’est pas la peine de le déclarer, et en cas d’accident avec dommages corporels à autrui, aucun problème avec les assurances !”

Je sais que c’est malheureusement faux, mais n’ai pas jugé utile de polémiquer (le personnel soignant subissait déjà mes contrariantes remises en question) et n’ai pas, par la suite, approfondi le sujet. Chacun fait ce qu’il veut après tout.

En revanche, une jeune fille de 18 ans porteuse d’une pompe nous a appris que, chargée d’enquêter par l’antenne locale de l’association des diabétiques, elle s’était rendue dans plusieurs autos-écoles de la région afin de demander des devis. Après quoi elle précisait qu’elle était DT1. Certaines écoles lui indiquaient que, dans son cas, il y aurait un surcoût dû à sa maladie, non par leur faute, mais parce que les assurances les y obligeraient. C’est évidemment mensonger, et donc parfaitement illégal. C’est en tous cas ce que le chef de service nous a affirmé.

Un jour, circulant dans Paris, j’ai été arrêtée par un agent de la Force Publique pour un innocent contrôle des papiers. Détaillant mon permis, il me demande “ Et pour quelle raison y a t’il une date de validité inscrite ? ” Je lui réponds qu’il n’est pas dans ses prérogatives de me poser cette question, et que la réponse relève du secret médical. A ce jour, mon permis est valable, et c’est donc tout ce qu’il a besoin de savoir. J’en ai été quitte pour un examen approfondi du véhicule, soldé par la découverte d’une ceinture arrière défectueuse.

Preuve est faite, s’il en était besoin, que résister à la soumission n’est pas toujours payant.

En l’occurrence, cela m’a même coûté !

Clara Malnati Chamberlain

 

 

Madame,                                                           le 22 mars 2010

Suite à votre courrier, je vous joins copie de celui que j’adresse ce jour à la commission médicale d’Appel de …. Il m’apparaît en effet plus cohérent de me présenter face à des spécialistes.

Mon « état de santé actuel » comme il est précisé, n’est pas la raison de cette décision, mais le fait que je n’ai pas apporté de résultats médicaux, qui jusqu’à présent ne m’avaient jamais été demandés.

J’aimerais d’autre part attirer votre attention sur le fait que les conditions d’accueil de cette commission ne respectent ni la confidentialité, ni le secret médical ; un petit couloir constitué de box ouverts, d’où on peut entendre tout ce qui se dit dans la salle d’examen.

Et comme les convoqués sont appelés à haute voix par leur nom, nous apprenons ainsi par le détail les raisons qui les amènent.

J’ai donc eu le plaisir de constater que diabétique ou alcoolique, le même traitement est réservé à chacun.

L’arbitraire a ceci de bon ; le sentiment rassurant de l’égalité républicaine.

Mais puisque vous me suggérez de vous faire part de mes éventuelles observations, dans la foulée, je ne vous cacherai pas que l’attitude des deux médecins de la commission me laisse quelque peu dubitative. Bien que les malheureux soient susceptibles de se faire insulter toute la journée (ce qui fut le cas par la personne qui me précédait) leur comportement se doit d’être respectueux – au minimum – face à une femme qui se présente poliment, s’exprime calmement, et argumente de façon sensée. J’ai eu la nette impression de faire les frais de leur mauvaise humeur, étant traitée comme potentielle délinquante de la route ( 24 ans de permis, 50% de bonus, jamais de dommages corporels hérissons compris ), irresponsable face à mon diabète (décelé à l’âge de 14 ans, cinq injections/jour, jamais de coma hypo ou hyper-glycémique).

Alors oui, je reconnais bien volontiers, et après réflexion, ne pas avoir apprécié d’être infantilisée et considérée avec un certain dédain, fustigée par deux médecins qui expédient mon cas en 5/10mn, ne connaissent rien de ma vie ni de l’attention que je porte à ma santé.

J’ai été éduquée dans la bienséance, la civilité et le respect d’autrui, j’attends la réciprocité, y compris de l’administration.

J’admets tout à fait que la législation les autorise à me demander des examens médicaux, mais avec 10/10 à chaque oeil, un bilan ophtalmologique ne vous semble t-il pas un peu superflu…?

J’ignorais donc que tous ces examens fussent indispensables, car lorsque je vivais à Paris, les commissions ne m’ont jamais rien demandé de tel.

 Ce n’est donc pas le fond mais la forme que je qualifierai de très choquante et stigmatisante ; je ne suis pas responsable de ma maladie.

 L’immense majorité des convoqués baissent les yeux et font le dos rond, car ils savent que de la décision médicale dépend leur permis de conduire.

Je respecte la loi, et ne suis coupable d’aucune faute.

Les diabétiques ne font pas l’objet de statistiques des personnes à hauts risques accidentogènes. Cela implique au mieux une certaine bienveillance, au pire la courtoisie la plus élémentaire. Il est alors très déplacé de s’entendre dire :

 » Mais madame, en hypoglycémie vous êtes susceptible d’écraser un piéton « , oui messieurs, comme tout un chacun, en hypoglycémie ou pas.

N’étant pas de nature servile, je me refuse a prêter le flanc à une autorité, qui bien qu’indispensable en matière de prévention, et de sanction, s’exerce dans l’humiliation et la culpabilité.

Je sais pertinemment que vous ne déjugerez ni ne recadrerez jamais vos personnels médicaux, la citoyenne lucide que je suis ne se fait guère d’illusions quant aux limites d’un système Ubuesque.

Cependant l’Association Française des Diabétiques sera sûrement sensible à mon témoignage, qui fera écho aux nombreux autres, relatant, et c’est bien regrettable, ce traitement des commissions primaires, qui rendent de plus en plus fréquemment des décisions arbitraires.

Je vous prie d’agréer, Madame, l’assurance de ma considération distinguée.