Diabète et méchant

Tout espérer, ne rien attendre.

MOURIR À VINGT-SIX ANS : TÉO

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Nous venons de recevoir ce courrier bouleversant :

Bonjour,

Je m’appelle Didier L., j’ai 67 ans, j’habite la région lilloise.

Téo, mon fils, aurait dû fêter ses 27 ans le 30 avril dernier.
Il est hélas décédé le 25 mars, certainement des suites d’un coma diabétique.

La maladie  DT1 s’est déclarée pour lui il y a trois ans et demi. Téo vivait seul à Lyon où il était étudiant en musicologie. Sa passion était la musique, le rock, le métal. Beaucoup de jeunes artistes résident dans son quartier “des pentes”. Mais ce sont pour la grande majorité des jeunes sans argent, des jeunes éprouvés par la dureté de la vie.

Téo avait beaucoup de mal à suivre son diabète. Il était souvent en hypo, puis en hyper, etc.

Il  avait un petit boulot, dans une épicerie locale solidaire. Téo avait horreur des contraintes.

Nous avons fait ses obsèques à Lyon le 5 avril dernier. De nombreux jeunes amis sont venus. Nous avons mis en place une cagnotte dans le but de recevoir des dons puis de les reverser à une association de notre choix.

Nous pensons que Téo serait content que cet argent (environ mille euros) aille au profit de votre association. Notre voeu serait d’aider les jeunes malades du diabète, notamment le DT1, à être mieux informés, à être aidés.

Merci de m’avoir lu,

Didier

Cette mort, probablement par acidocétose, nous arrache le cœur, elle nous révolte et elle nous oblige, car elle représente tout ce que Diabète et Méchant essaye d’empêcher.

La mort de Téo dit tout de la détresse silencieuse de tant de diabétiques insulinodépendants, ballotés entre la condescendance et la pédagogie noire de sachants (bien souvent eux-mêmes ignorants et mal informés) qui minimisent leurs difficultés (“ça se soigne très bien maintenant“) tout en les culpabilisant lorsqu’ils ne parviennent pas à appliquer leurs injonctions irréalistes.

La mort de Téo raconte aussi l’inquiétude, et fréquemment la culpabilité (infondée) des parents ou proches de DT1. Pas seulement quand ces derniers sont des enfants ou des adolescents. Les parents d’enfants DT1 comme les enfants de parent DT1 ou leur conjoint vivent avec l’angoisse d’être confrontés à ce qui vient de se produire.

La mort de Téo n’était pas inéluctable, elle est d’autant plus injuste (mais y-a t’il des morts justes ?). Téo n’était pas dans le « déni », ce mot confortable trop souvent dégainé pour nous culpabiliser plus encore (il savait bien qu’il était diabétique !), Téo était dans le découragement.

Nous sommes quelques-uns à avoir été confrontés au même genre d’acidocétose et, pour ceux comme moi qui sont encore là, à avoir eu la chance d’être secourus, souvent de justesse (il m’est arrivé la même chose que Téo en 1985, c’est un appel téléphonique qui m’a sauvé, je joins quelques pages de mon bouquin sur le sujet).

Il y a beaucoup de diabétiques buissonniers comme Téo, qui vivent en-dessous des radars de la diabétologie de salon, pour lesquels l’ « Éducation Thérapeutique du Patient » est inadaptée, avec son paternalisme, ses diktats inexacts (l’obligation de prendre des sucres lents à chaque repas, la hantise de l’hypoglycémie alors que l’hyper est beaucoup plus difficile à contrôler) voire sadiques (l’aiguille enfoncée 20 secondes). L’obsession statistique et des objectifs d’hémoglobine glyquée inatteignables transforment immédiatement un jeune patient comme Téo en mauvais élève.

Si Téo a mis son diabète de côté pour vivre comme les autres, c’est aussi parce qu’aujourd’hui encore cette maladie auto-immune est mal comprise (une personne très éduquée et de bonne volonté m’a lancé récemment “Tu as essayé la méditation ?“, après avoir entendu que j’étais DT1). Cette ignorance est entretenue par des associations qui profitent de la confusion entre les types de diabète pour gonfler leur représentativité et s’enrichir en faisant croire qu’elles financent la recherche.

Didier  :  » Téo a dû être plongé dans un coma diabétique et n’a pas pu réagir pour se sauver. Nous avions convenu de nous appeler au téléphone le dimanche qui a précédé. J’ai reçu un texto où il me disait qu’il avait des nausées et qu’il préférait que l’on s’appelle le lendemain. Nous avions l’habitude, hélas, que Téo ne réponde pas tout de suite à nos messages et appels. Le lundi, je lui ai juste envoyé un message via Whatsapp et j’ai vu qu’il l’avait lu. Je m’inquiétais du fait qu’il ne me réponde pas, mais je ne voulais pas m’imposer. Les jours suivants cela a été pareil, je lui ai envoyé des messages qui sont restés sans réponse. Je m’inquiétais de plus en plus. Nous n’avions pas la possibilité d’aller chez lui à Lyon en urgence car j’habite à Lille, ma fille ainée habite en banlieue parisienne.
Je pleure mon fils chéri tous les jours, il me manque tellement.
Je voudrais être réconforté sur le fait qu’il soit parti sereinement. Mais nous ne savons pas encore exactement comment cela s’est passé. Sur son corps, le capteur de glycémie fixé à son bras avait disparu. Nous ne l’avons pas retrouvé.
Téo ne souhaitait pas de contraintes dans la vie, en tous les cas le moins possible. Il voulait vivre comme les autres jeunes. Son diabète de type 1 s’est déclenché il y a trois ans et demi. C’est une maladie exigeante, qui demande un suivi précis, attentif et sérieux. C’était difficile pour Téo de suivre cela. Téo avait fait le choix de partir à Lyon, d’y faire ses études artistiques. Il vivait seul, dans un petit appartement équipé sommairement, un appartement pour étudiant.
C’était une belle personne, très aimante et solidaire de beaucoup de causes humanitaires. Il avait fait le choix de devenir végétarien pour s’opposer au développement des élevages intensifs et contre la cruauté que l’on fait subir aux animaux.
Nous nous voyions régulièrement et nous nous parlions assez souvent au téléphone. A Lyon il avait créé son réseau d’amis. Il aimait bien cette ville et notamment son quartier « des pentes » dans le bas de Croix Rousse. Beaucoup de jeunes artistes fauchés y habitent. Eloigné de sa famille, c’était un challenge pour lui de développer son autonomie et de vivre sa vie comme il l’entendait.
Ce n’était pas facile pour lui de suivre le rythme imposé par la vie moderne. Il vivait seul, faisait beaucoup de musiques rock au sein de plusieurs groupes. Il était guitariste, un bon guitariste de rock. Il était passionné.
Son absence me pèse, nous pèse, chaque jour.
 Il n’y aura plus d’après pour nous deux, Téo et moi, ensemble. Nous étions très proches, très complices.
Téo était un être très aimé et apprécié. Nous avons organisé une belle cérémonie d’adieu à Lyon, pour que ses amis qui, comme lui, n’ont pas beaucoup d’argent, puissent y assister et n’aient pas de frais de transport à dépenser. Nous avons proposé une cérémonie qui lui ressemble avec de la musique, et du rock notamment. Nous pensons que cela lui aurait plu. Elle a rassemblé beaucoup de monde, dont de nombreux jeunes de ses amis, certains de ses professeurs et ses collègues de travail.
Mon état émotionnel varie d’un jour à l’autre. Je voudrais que son départ ne soit pas vrai. »

Merci à Didier Laverre pour sa confiance, nous allons essayer d’en être dignes.

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Ici un extrait de Diabétiquement vôtre :

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14 Commentaires

  1. Brugiere eliane

    Je suis émue jusqu’aux larmes , personne ne sait la vie impossible d’un diabétique ! Je comprends teo qui vivait sa musique à 100 %, le diabète ne vous oublie jamais, je crois que j’étais comme lui a 15 ans , quand j’ai eu mon diabète, j’ai 70 ans ! J’en ai connu des hypo , comas , des situations limite où une collègue est entrée dans mon bureau, bureau ou j’étais seule, et elle m’a sauvé la vie, peut être… il a fallu une complication qui a touché la rétine, et la j’ai réagi parce que j’ai terriblement peur de la mort ! Depuis je suis devenue accro , rigoureuse dans mon traitement mais en fait, je survie mais à quel prix ! Sans parler de la vigilance quotidienne de mon mari ! Cela dit, la technologie m’aide beaucoup, mais demande de savoir gérer le matériel ! Je pense beaucoup à ce jeune homme parti trop tôt et à b burgalat qui a un diabete aussi ancien que le mien, qui se bat pour le sien et celui des autres ! Merci

  2. COUDERC Nath

    Teo, on t’aime si fort, tu nous manques tant. Pas un jour sans penser à toi. On rit, on pleure, on sourit de nos souvenirs. Souvenirs, un mot si laid quand il s’agit de toi. Bises mon teo.

  3. bubulle

    courage à ta famille teo et à toi la haut te voilà libéré de tes contraintes et de cette maladie insidieuse tel un serpent il serre et ne lâche plus les crocs sur nous … maladie si mal comprise et connue …

  4. Dominique

    Cher Theo,
    je suis bouleversé. Que c’est injuste le diabète.
    Qui te tombe dessus, s’incruste, ne te lâche pas, jamais, s’invite à chaque instant, obsédant. Tu marches, « es-tu en hypo? » Encore un peu de gâteau, « vas-tu faire une hyper? » Tu es en hyper? » « Que va dire le médecin? » Tu t’endors sans manger, « n’est-ce pas dangereux?  » « Vas-tu faire une hypo pendant le concert? » Tu n’as pas très bien joué aujourd’hui, « tu étais en hyper? » Comment va ton diabète? Et moi, Théo, comment je vais? …
    Inquiétude permanente. Jamais bien. Toujours trop ou pas assez. Fatigue. Manger c’est compliqué. Incompréhension. Humiliation. Epuisé. Je ne suis pas une machine. Marre de ce truc qui gratte mon bras, …
    Théo, je pense très fort à chaque diabétique, si ému par l’attitude généreuse de tes parents.

  5. Jocelyne

    Je n’ai pas connu Théo mais je comprends tellement la douleur des parents, j’ai un enfant (un jeune adulte) également DID qui commence à prendre son autonomie.
    Courage aux parents.

  6. Karine Laverre

    On pense à toi tous les jours Téo.
    On connaissait si mal ta maladie.
    Tu nous manques.

  7. Fontaine Colette

    Courage à ta famille, Théo.
    Je suis DT1 et je comprends ce que tu as vécu, si jeune.

  8. Je comprends aussi. Ma fille Alexandra a vécu dans ce long brouillard de vie que représente le diabète de type 1. Elle a vécu, a combattu férocement et s’est envolée à son 30eme anniversaire, épuisée, dévastée par la lourdeur des effets du diabète qu’elle a eu dès sa première année de vie.
    Je comprends et de tout coeur j’envoie un immense câlin à tous les proches de Téo.
    Tout mon amour,

    La maman d’Alexandra

  9. Céline

    Je suis de tout coeur avec vous.
    Je suis DID depuis presque 30 ans et je crois qu’il n’y a que nous, DID, pour comprendre ce qu’on vit chaque jour.
    Pas de place pour le hasard ou l’imprévu : tout doit être pensé, contrôlé et maîtrisé. Et c’est usant ! Comme c’est usant !
    On rêve souvent de la liberté des autres. Mais elle ne nous est pas accessible.
    Le cas de Théo me bouleverse. Pauvre Théo. Pauvres famille et amis de Théo.
    Et son cas matérialise bien l’angoisse de nos proches pour nous… Ça aussi ça me dérange. Parce qu’on en parle peu mais nos proches qui sont ses victimes collatérales de nos soucis de santé.
    Repose en paix, Théo. Et courage à vous, ses proches.

  10. TESSON BOURGUIGNAT Edwige

    L’ensemble de ces témoignages m’invite à vous saluer, vous tous, les personnes diabétiques, l’entourage, famille, amis, formateurs…
    Diabète T1 à 2ans , j’ ai aujourd’hui 67ans !

    Je suis tout le temps fatiguée. Après tous vos récits, je n’ai pas besoin d’expliquer pourquoi je suis si épuisée. Fatigues morale et physique.

    Que la route est longue !
    Courage à tous.

  11. Van damme pascale

    Bonjour je viens de lire …je suis diabétique 1 depuis très longtemps ( 40 ans) et je m y retrouve…j ai aussi dans le temps négligé…séjour en réa acidocetose j ai eu vraiment la sensation de mourir. Je connais aussi et encore les réflexions déplacées des gens : tu n as qu à pas manger de sucre et cela ira ! En voilà une parmi tant d’autres. Ma seule crainte est de transmettre cette m….à mes enfants qui sont de jeunes adultes . Bon courage dans cette épreuve et merci de votre témoignage puisse t il ouvrir les yeux à certains .et à rendre les médecins moins obtus aussi !

  12. Fabienne

    Je suis très émue de vous lire tous.
    Je suis la maman d’un ado did depuis 2 ans…
    C’est pas facile, ça change sa vie, ça change nos vies aussi… Le moral est un peu comme la glycémie… Avec des hauts et des bas! Idem pour les angoisses.
    Je vous souhaite plein de courage à tous et toutes mes pensées aux proches de Téo ✨

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