Nouveau concept, l’article à deux voix, issu d’une conversation informelle, donnant lieu à un défi amical !
Corentin signe ce poème à lire en écoutant cela :
Vous pourrez aussi lire d’autres proses sur le blog : http://regimequinemangepasdepain.over-blog.com/
Tous les trois mois c’est la même scène,
On pousse les portes du labo pour se faire sucer la veine.
Nos trois derniers mois défilent dans la tête,
Les apéros, les repas et les sorties à bicyclette.
Si la conduite à tenir paraît simple,
Nos pensées divergent le jour de l’examen.
On espère souvent avoir la mention,
Surtout quand nos journées on fait preuve d’attentions.
Période schizophrénique où on se regarde dans le miroir
En passant de la sous estimité à la culpabilité sans le vouloir.
Les pensées partent dans tous les sens en attendant le verdict
Pour ensuite aller dans ce choix dichotomique.
On repartira alors soulagé ou avec les crocs
En tentant la prochaine fois de décrocher le bon numéro.
Puis ma version, (plus bavarde) que l’on peut lire avec de la musique aussi, mais je vous laisse le choix… Lazarus de Bowie, excellent choix, vous avez bon goût !
Schizophrénie sucrée
Je fus médecin avant d’être malade. Ordonnancier sous la main, je prescris. Des médicaments, des radios, des échos, des scanners, des IRM, des prises de sang, des analyses d’urines. Et un jour j’ai mis mon nom en haut à droite, là où on écrit le nom du patient habituellement.
Je me souviens parfaitement du jour de mon diagnostic de diabète. J’attendais avec impatience mon résultat, qui ne venait pas. Alors j’ai appelé le laboratoire, comme je le fais quasi quotidiennement, pour des patients… La secrétaire reçoit ma demande, laisse un discret silence inhabituel, et me dit « votre dossier n’est pas validé » … et elle me passe alors le biologiste ! J’ai donc quelque chose de grave. Reste à savoir quoi !
- Tu savais que tu avais du diabète ? T’as 2,89 !
- Maintenant je le sais
- Bon courage
- Merci
Badaboum ! Une vie qui change en quelques mots, en un coup de fil…
J’ai aussi le souvenir de l’échographie passée le lendemain. La peur d’un cancer du pancréas, ou autre diabète secondaire me hantait. J’ai regardé avec attention les yeux du radiologue, scrutant chaque froncement, chaque clignement, à la recherche d’un signe qui indiquerait que ma fin est proche, qu’il avait trouvé un petit quelque chose, une petite lésion, un petit truc qui justifierait de faire un petit scanner complémentaire. Ah oui, quand on est mal à l’aise, on met « petit » partout…
Désormais, tous les trois mois, j’ai rendez-vous avec mon vampire préféré, suceur de sang qui fait de mes bras un gruyère. Je ne comprends pas pourquoi mon amie infirmière n’aime pas cette métaphore.
Il faut doser l’HbA1c. Et j’ai la trouille.
Rationnellement, je sais très bien dans quelle gamme elle va si situer cette foutu HbA1c. Mon capteur me donne un résultat toutes les 5 minutes, je suis capable dans ma tête d’en faire globalement une moyenne, et de traduire cette moyenne en HbA1C. Et pourtant je crains ce chiffre sentence. Chaque chiffre est une sentence, chaque résultat une promesse sur l’avenir.
Chaque prise de sang est exposée trimestriellement comme un vilain carnet de notes, un bulletin scolaire, qui ouvrira forcément sur son lot de réprimandes ! il y aura toujours un truc qui cloche ! Chaque prise de tension donne aussi une note.
Et comme on le fait pour nos chers enfants, un peu comme l’instit’ 4° république de la pub « Guy Degrenne » de notre enfance, on imagine que ce carnet de notes trace l’avenir avec certitude.
L’être humain est ainsi fait : on veut connaître la suite en sachant parfaitement que cela est impossible. Et la posture en consultation est bien celle-là : prédire l’avenir. L’evidence based medicine, la médecine basée sur les preuves, s’est prétendue capable de définir la stratégie permettant de retarder la rencontre avec la grande faucheuse ! On prend 2000 patients, à 1000 on applique la stratégie A, aux 1000 autres la stratégie B, on compte les morts, et si on en a 98 dans la stratégie A et 102 dans la stratégie B, on dit que A est supérieure à B. On demande à un statisticien si cela est significatif, et hop, on a une preuve. Les sociétés savantes prennent connaissance du résultat, demande à la HAS de changer ses recommandations au regard de ces résultats et donc on choisit tous la stratégie A. Essayez de suivre la stratégie B… vous entendrez « vous voulez mourir ou quoi ? ». Le médecin vous prédit l’avenir ! Vous allez mourir ! (Ça ne mérite pas 10 ans d’études !). Cette promesse n’est pas rationnelle pourtant, vous l’aurez compris !
Pareil pour les résultats, ils ne sont en rien une promesse ! C’est une promesse statistique, certes. A l’échelle d’une population, ces chiffres (et encore, cela dépend desquelles, et de leur niveau) donnent une probabilité de risque. Ils sont surtout un point de repère, une visualisation de la santé ! Un comptage numérique d’un paramètre pourtant impossible à quantifier
Mais là encore, la santé n’est définitivement pas une somme de bons chiffres. Le parfait bien-être physique psychique et sociale n’a rien à voir avec mon taux de cholestérol, mon HbA1c ou ma tension. Ma bonne santé, c’est jouer avec mes enfants, courir, passer du temps avec mon épouse, mes amis, faire mon boulot sans difficultés physiques…
Mais alors pourquoi l’attente de ce chiffre me fait peur ? Pourquoi je suis capable de rationnaliser la portée de ce résultat sur mes patients et pas sur moi ?
Pourquoi ai-je cette schizophrénie sucrée ?
Je trouve chacune de ces sentences d’une rare violence en fait. D’avoir maintenant un pied de chaque côté du bureau du Docteur, je découvre la puissance symbolique du chiffre. Le contenu des consultations est d’ailleurs phagocyté par des discussions sur ces chiffres, du décryptage mathématique ! C’est toujours du temps amputé à la discussion sur les vraies questions de santé, sur la vie de chacun, sur l’émotion, sur la compassion. L’empathie ne se mesure pas en pourcentage et la bienveillance n’a pas de valeurs de référence…
Alors aujourd’hui j’ai sorti ma carte vitale, tendu mon bras, regarder le flacon à bouchon violet se remplir et attendu un peu inquiet que le résultat tombe 6 heures plus tard. Je n’ai même pas la nécessité de confronter ce résultat à mon juge médecin, je le fais moi-même, un peu comme ce bon Milou avec son ange et son diable au-dessus de la tête !
On remet ça dans 3 mois.
Schizophrénie sucrée !
Matthieu de Mijolla
Ce qui est étonnant, pour moi qui lit ce texte, c’est la prévalence encore et toujours de l’HbA1c. Mon endocrinologue m’expliquait que cet outils avait « fait un tabac » à l’époque de sa « découverte » dans les années 1970. En effet on disposait d’un coup d’un outils permettant d’obtenir un moyenne sur trois mois alors qu’avant on n’avait que des glycémie à la prise de sang (rarissime, très voir pas représentative) et le résultat des analyses urinaires avec tubes, cachet effervescent ect… Qui ne faisait qu’indiquer « Hum, là ça a monté trop depuis la dernière fois que t’a pissé. Hum hum… ».
Mais qu’aujourd’hui c’était finalement peu intéressant. Il semble que l’endocrinologie évolue vers un indicateur qui fera plaisir au fabricant de capteur puisqu’il est dépendant de leur appareil : « le temps passé dans la cible » – en gros la partie du temps passé entre 0,8 et 1,6-1,8 (en % aussi mais plus c’est haut mieux c’est).
Du coup je me demande….
Je me demande si, après l’apparition des glycémie capillaire fin 70/début 80 et, aujourd’hui depuis l’apparition et début de généralisation de la CGM.
Bien, comment dire ?
Cela sert il encore réellement à quelque chose d’avoir un « chiffre » unique qui, au final, sera représentatif de ce que l’on sait déjà ? Mais, qui en plus, fait abstraction des extremums et est empreint de ce pré-jugé encore trop répandu dès qu’on descend sous 7 % que l’on passerait notre temps en hypoglycémie (avec tous ce que cela a comme effet lorsqu’un malade fait face à un préjugé chez son médecin ……….).
Enfant je m’astreignait à ce jeu tous les trois mois, maintenant si c’est tous les ans c’est bien et surtout avec un bilan sanguins bien plus global. Mais en 23 ans j’ai toujours eu le sentiment, même avant les CGM, qu’à partir du moment où l’on se faisait 4 à 6 glycémie capillaire le chiffre en % n’était jamais très loin ni plus intéressant que ce qu’on lisait sur les glucomètres.
Marc-André
C’est tellement ça ! Très beau témoignage… La « temporalité » du diabétique est rythmée par toutes ses dextros, ses contrôles, ses analyses, ses résultats et les commentaires de tous ceux qui ne sont pas diabétiques. Et c’est sans fin, si ce n’est « la » Fin. Pour les médecins, nous sommes des patients. Pour nous, diabétiques, ce sont nos vies. Sans possibilité d’y échapper. Une sorte de « jeu » sans fin où les « perdants » sont sévèrement punis…
adet
Bonjour,
Le diabète est un amant ou une maîtresse, c’est selon, sa fidélité nous comble chaque jour, comme dans le film d’Hitchcock il peut-être effectivement vécu comme une horreur et générer une véritable psychose avec l’obsession de l’hémoglobine glyquée.
Mais le mot FIN du film est apparu récemment avec nos nouveaux outils de contrôle en continu. Nous devons changer notre regard sur notre maladie et son contrôle, nous avons maintenant le pouvoir de la dompter plus précisément. Les flèches de tendance sont une véritable révolution, avec elles la notion en % de temps passé dans la plage de glycémie basse et haute déterminée à l’avance nous apportent une maîtrise inégalée jusque là.
Diabétique reconnu de type 2 depuis 1999 et pancréatoprive (TIMPP) depuis 2012 j’estime avoir de la chance de bénéficier de ces progrès récents même si les injections indolores d’insuline rapide et lente 4 fois par jour restent indispensables et si parfois je doute de la fiabilité du capteur que je porte au bras m’obligeant à me piquer le doigt.
Pour moi le contrôle du glucose interstitiel m’offre dorénavant plus de sécurité et liberté avec le sucre et la normalité de l’existence, c’est comme piloter un véhicule avec plus d’instruments de contrôle et de conduite à bord.
De plus il est aisé de dialoguer et objectiver avec mon médecin et ma diabétologue avec à l’appui mes graphes de contrôles, le professionnel n’est plus le seul à décider de mon destin ni à m’imposer son despotisme médical.
Joël