Nous venons de recevoir ce courrier bouleversant :
Bonjour,
Je m’appelle Didier Laverre, j’ai 67 ans, j’habite la région lilloise.
Téo, mon fils, aurait dû fêter ses 27 ans le 30 avril dernier.
Il est hélas décédé le 25 mars, certainement des suites d’un coma diabétique. Il a été retrouvé chez lui, à la suite de nos appels téléphoniques aux pompiers et à la police. Nous avons demandé à être en copie du rapport d’autopsie.
La maladie DT1 s’est déclarée pour lui il y a trois ans et demi. Téo vivait seul à Lyon où il était étudiant en musicologie. Sa passion était la musique, le rock, le métal. Beaucoup de jeunes artistes résident dans son quartier “des pentes”. Mais ce sont pour la grande majorité des jeunes sans argent, des jeunes éprouvés par la dureté de la vie.
Téo avait beaucoup de mal à faire attention à ce qu’il mangeait ou buvait et à suivre son diabète. Il perdait souvent son capteur électronique fixé à son bras. Il était souvent en hypo, puis en hyper, etc. Nous essayions, à chaque fois que nous le voyions, de lui montrer que l’on peut assez facilement se préparer des petits plats sains à la maison. Il repartait déterminé.
Il habitait un petit studio, mal équipé, avec juste une plaque électrique. On peut comprendre que ce n’était pas facile pour lui de cuisiner.
Il avait un petit boulot, dans une épicerie locale solidaire. Ses collègues nous ont dit que Téo mangeait beaucoup de Kinder et qu’il se faisait livrer souvent par Deliveroo des plats cuisinés. Téo avait horreur des contraintes.
Nous avons fait ses obsèques à Lyon le 5 avril dernier. De nombreux jeunes amis sont venus. Nous avons mis en place une cagnotte dans le but de recevoir des dons puis de les reverser à une association de notre choix.
Nous pensons que Téo serait content que cet argent (environ mille euros) aille au profit de votre association. Notre voeu serait d’aider les jeunes malades du diabète, notamment le DT1, à être mieux informés, à être aidés.
Merci de m’avoir lu,
Didier Laverre
Cette mort, probablement par acidocétose, nous arrache le cœur, elle nous révolte et elle nous oblige, car elle représente tout ce que Diabète et Méchant essaye d’empêcher.
La mort de Téo dit tout de la détresse silencieuse de tant de diabétiques insulinodépendants, ballotés entre la condescendance et la pédagogie noire de sachants (bien souvent eux-mêmes ignorants et mal informés) qui minimisent leurs difficultés (“ça se soigne très bien maintenant“) tout en les culpabilisant lorsqu’ils ne parviennent pas à appliquer leurs injonctions irréalistes.
La mort de Téo raconte aussi l’inquiétude, et fréquemment la culpabilité (infondée) des parents ou proches de DT1. Pas seulement quand ces derniers sont des enfants ou des adolescents. Les parents d’enfants DT1 comme les enfants de parent DT1 ou leur conjoint vivent avec l’angoisse d’être confrontés à ce qui vient de se produire.
La mort de Téo Laverre n’était pas inéluctable, elle est d’autant plus injuste (mais y-a t’il des morts justes ?). Téo n’était pas dans le « déni », ce mot confortable trop souvent dégainé pour nous culpabiliser plus encore (il savait bien qu’il était diabétique !), Téo était dans le découragement.
Nous sommes quelques-uns à avoir été confrontés au même genre d’acidocétose et, pour ceux comme moi qui sont encore là, à avoir eu la chance d’être secourus, souvent de justesse (il m’est arrivé la même chose que Téo en 1985, c’est un appel téléphonique qui m’a sauvé, je joins quelques pages de mon bouquin sur le sujet).
Il y a beaucoup de diabétiques buissonniers comme Téo, qui vivent en-dessous des radars de la diabétologie de salon, pour lesquels l’ « Éducation Thérapeutique du Patient » est inadaptée, avec son paternalisme, ses diktats inexacts (l’obligation de prendre des sucres lents à chaque repas, la hantise de l’hypoglycémie alors que l’hyper est beaucoup plus difficile à contrôler) voire sadiques (l’aiguille enfoncée 20 secondes). L’obsession statistique et des objectifs d’hémoglobine glyquée inatteignables transforment immédiatement un jeune patient comme Téo en mauvais élève.
Si Téo a mis son diabète de côté pour vivre comme les autres, c’est aussi parce qu’aujourd’hui encore cette maladie auto-immune est mal comprise (une personne très éduquée et de bonne volonté m’a lancé récemment “Tu as essayé la méditation ?“, après avoir entendu que j’étais DT1). Cette ignorance est entretenue par des associations qui profitent de la confusion entre les types de diabète pour gonfler leur représentativité et s’enrichir en faisant croire qu’elles financent la recherche.
Didier Laverre : » Téo est mort officiellement le 25 mars, mais nous ne connaissons pas la date réelle de son décès. Il a dû être plongé dans un coma diabétique et n’a pas pu réagir pour se sauver, c’est ce que nous supposons. Nous espérons en apprendre davantage avec les résultats complets d’autopsie et de toxicologie qui ont été pratiqués et que nous avons demandés. En tant que parents nous avons demandé aux autorités compétentes l’accès au rapport, c’est une démarche administrative longue.
Téo et moi avions convenu de nous appeler au téléphone le dimanche qui a précédé. J’ai reçu un texto où il me disait qu’il avait une grosse gastro et qu’il préférait que l’on s’appelle le lendemain. Nous avions l’habitude, hélas, que Téo ne réponde pas tout de suite à nos messages et appels. Le lundi, je lui ai juste envoyé un message via Whatsapp et j’ai vu qu’il l’avait lu. Je m’inquiétais du fait qu’il ne me réponde pas, mais je ne voulais pas m’imposer. Les jours suivants cela a été pareil, je lui ai envoyé des messages qui sont restés sans réponse. Je m’inquiétais de plus en plus.
Nous n’avions pas la possibilité d’aller chez lui à Lyon en urgence car j’habite à Lille, ma fille ainée habite en banlieue parisienne.
J’étais de plus en plus inquiet, ma fille m’a demandé si je souhaitais qu’elle appelle les pompiers et la police. C’est ce que nous avons fait. Ce sont eux qui ont découvert Téo, hélas mort chez lui. C’est horrible.
Je pleure mon fils chéri tous les jours, il me manque tellement.
Je voudrais être réconforté sur le fait qu’il soit parti sereinement. Mais nous ne savons pas encore exactement comment cela s’est passé. Sur son corps, le capteur de glycémie fixé à son bras avait disparu. Nous ne l’avons pas retrouvé.
Téo ne souhaitait pas de contraintes dans la vie, en tous les cas le moins possible. Il voulait vivre comme les autres jeunes. Son diabète de type 1 s’est déclenché il y a trois ans et demi. C’est une maladie exigeante, qui demande un suivi précis, attentif et sérieux. C’était difficile pour Téo de suivre cela. A chaque fois que nous le rencontrions, nous lui faisions voir comment il pourrait se nourrir sainement et facilement. Téo repartait déterminé mais une fois chez lui, il retombait dans la facilité et se nourrissait via les sociétés de livraisons de repas à domicile. Ces repas sont beaucoup moins sains, notamment pour les malades du diabète. Téo avait fait le choix de partir à Lyon, d’y faire ses études artistiques. Il vivait seul, dans un petit appartement équipé sommairement, un appartement pour étudiant.
C’était une belle personne, très aimante et solidaire de beaucoup de causes humanitaires. Il avait fait le choix de devenir végétarien pour s’opposer au développement des élevages intensifs et contre la cruauté que l’on fait subir aux animaux.
Nous nous voyions régulièrement et nous nous parlions assez souvent au téléphone. A Lyon il avait créé son réseau d’amis. Il aimait bien cette ville et notamment son quartier « des pentes » dans le bas de Croix Rousse. Beaucoup de jeunes artistes fauchés y habitent. Eloigné de sa famille, c’était un challenge pour lui de développer son autonomie et de vivre sa vie comme il l’entendait.
Ce n’était pas facile pour lui de suivre le rythme imposé par la vie moderne. Il vivait seul, faisait beaucoup de musiques rock au sein de plusieurs groupes. Il était guitariste, un bon guitariste de rock. Il était passionné.
Son absence me pèse, nous pèse, chaque jour.
Il n’y aura plus d’après pour nous deux, Téo et moi, ensemble. Nous étions très proches, très complices.
Téo était un être très aimé et apprécié. Nous avons organisé une belle cérémonie d’adieu à Lyon, pour que ses amis qui, comme lui, n’ont pas beaucoup d’argent, puissent y assister et n’aient pas de frais de transport à dépenser. Nous avons proposé une cérémonie qui lui ressemble avec de la musique, et du rock notamment. Nous pensons que cela lui aurait plu. Elle a rassemblé beaucoup de monde, dont de nombreux jeunes de ses amis, certains de ses professeurs et ses collègues de travail.
Mon état émotionnel varie d’un jour à l’autre. Je voudrais que son départ ne soit pas vrai. »
Merci à Didier Laverre pour sa confiance, nous allons essayer d’en être dignes.
Ici un extrait de Diabétiquement vôtre :