Jour 3
La force d’un congrès réside surtout dans le Off, dans ces échanges informels le long des allées. Bien sûr, les industriels ont compris cela et font de ces échanges une force de frappe en offrant des conditions sympathiques de rencontre : du vélo connecté à un écran qui calcule les calories cramées en faisant l’analogie avec des aliments (vous avez consommé 250 Kcal, soit un pain au chocolat !). C’est amusant, l’aliment n’étant qu’un tas de calories. Ailleurs, on fait des glaces d’un nouveau genre, oh ! encore un vélo qui en pédalant très fort permet de faire un jus de fruits !!! Merveilleux !
Mais les rencontres informelles ont aussi lieu entre professionnels, et c’est heureux. Chacun échange sur ses pratiques, ses conditions, ses impressions sur telle ou telle présentation.
Elles ont lieu aussi entre des professionnels de toute la francophonie. Cette ouverture est à louer. Gageons que les influents français utiliseront leur position pour demander des prix d’insuline raisonnables pour ces pays représentés.
Naturellement les conversations que je mène avec le plus d’entrain le sont avec des diabétiques « réformateurs ». Mais cette ambiance nous stimule et nous sortons une proposition nouvelle toutes les minutes, on est intarissable !
On liste les conférences que l’on aurait voulu voir :
- Les nouveaux capteurs et les technologies de sharing d’informations peuvent-elles permettre de limiter la durée de l’hospitalisation initiale, voire de l’éviter (hors urgence métabolique !) ?
- Comment rémunérer les médecins qui assistent à distance leurs patients par échange des données des capteurs ?
- Quelles sont les pratiques internationales concernant ces sujets ?
- La politique vis-à-vis du sucre ajouté doit-elle reprendre les enseignements de la lutte contre le tabagisme : fiscalité propre, paquet neutre (adieu reine des neiges sur les paquets de Kellog’s, interdiction des jouets offerts : Mac Do, Kinder etc.)
- Une politique des jardins, une réhabilitation des cantines, l’interdiction d’utiliser des tickets repas dans les fast food, ou la création d’un ticket repas responsable utilisable seulement dans des lieux signant une charte de qualité nutritionnelle (pas d’aliments ultra transformés, filière courte, bio, saison, etc.), qui serait fiscalement plus intéressant pour l’employeur et le commerçant.
- Une réforme audiovisuelle sur les publicités, l’interdiction des allégations santé…
- Le sport santé : tout à faire car rien n’est fait !
- Comment évaluer l’impact de prises en charge alternatives (sophrologie, méditation pleine conscience, cohérence cardiaque, shiatsu, etc…) dans la prise en charge des maladies chroniques… Pour savoir s’il faut les déconseiller ou les prendre en charge ?
- On peut détailler à l’infini ! Tout n’est pas bon à prendre, mais tout doit être étudié !
Delphine de World Diabetes Tour/type1running team aurait voulu faire de la boucle du diabète un événement sportif mais surtout un moment de conférence, donner une tribune à d’autres discours. Pour le moment ce n’est pas au programme… Frustration partagée !
Mais Bertrand nous a parlé de l’exemple lausannois, avec une rencontre comparable en ampleur à ce congrès, ouverte à toutes les sensibilités, où l’on peut échanger sans arrière-pensées, sans territoire à défendre et où l’industrie prend la place qui est la sienne. D’autres acteurs y prennent place d’ailleurs, les mutuelles, les assurances etc… On doit échanger avec l’industrie, leur faire part de nos souhaits et récriminations (que l’on soit soignants ou soignés !). Mais sans avantage financier ou matériel. On rêve d’une déclinaison française !
Je dois avouer que je suis un garçon influençable car j’ai fini dans le train, à l’aller, le livre d’Anthony Fardet : Halte aux aliments ultra transformés. Ce bouquin parle nutrition, OK, mais au-delà de cette question, il aborde la question de l’approche scientifique, de l’approche réductionniste versus l’approche holistique. Et nous voyons dans le programme que nous abordons la diabétologie uniquement dans l’approche réductionniste, en considérant l’individu tantôt comme un être recouvert d’adipocytes, tantôt comme un pancréas défaillant, etc… Il y a très peu de propositions humanisées ou socialisées. Les aliments ne sont pas des tas de nutriments et nous ne sommes pas des tas de cellules (plus ou moins efficaces) !
Le diabète de type 2 et l’obésité (suivis des maladies qui s’y apparentent : maladies cardio-vasculaires, certains cancers, certaines maladies neuro-dégénératives) sont appelées régulièrement des maladies de civilisation. Et pourtant aucune proposition n’est faite dans le sens d’une réforme de nos modes de vie. C’est illogique. Ne nous trompons pas d’angle d’attaque, ou plus précisément, l’approche réductionniste, ultra spécialisée, ne suffit pas !
Pour montrer que j’y étais pour de vrai, j’ai assisté à une présentation sur les rythmes circadiens, hyper soporifique, puis à des communications orales par des équipes de chercheurs jeunes ou étrangers plutôt sympathiques. Finalement, j’ai eu plus de nouvelles de la santé des souris de laboratoire (qui finissent globalement sacrifiées ! RIP Mickey Mouse !) que de votre santé à vous les petits gars !
Rencontre avec la présidente de Femmes diabétiques, qui mérite aussi d’être connue. On discute conflit d’intérêts, jeu d’influence. Comment faire exister les partenaires industriels, qui doivent exister, sans que ceux-ci soient dans une démarche commerciale, dans une séduction malsaine, ou dans une posture non transparente ? On ne trouve pas les réponses, mais au moins on se pose les questions !!!
Le conseil scientifique de la SFD doit quand même avoir les oreilles qui sifflent. Je ne croise que des mécontents. Les quelques sujets intéressants sont traités dans des salles où il y a plus de candidats que de places. Les gens sont refoulés (à plus de 250€ l’entrée, ça fait braire !). Ailleurs, les sujets ne passionnent pas, les vrais enjeux sont oubliés. Une amie l’a directement dit à la présidente de la SFD… Changera-t-elle quelque chose à la suite de ça ?
Les congrès c’est génial, surtout quand on en sort ! C’est un peu comme le festival d’Avignon, le In est chiant et perché, le Off est truculent, inventif, vivant ! Ici le Off est maigre, mais il est là !
Dans le cadre du Off, le soir, la douce Juliette de SangSucre proposait de façon très élégante son exposition photo ! La discussion avec les autres convives nous a permis de rencontrer des personnes motivées, volontaires, humaines, avec qui il semble impossible d’envisager un désaccord fort ! Une nous parle de « la Fabrique créative de santé » à Nantes, qui semble réussir à aider les malades (au passage, on ne met pas les diabétiques avec les diabétiques, les scléroses en plaques de l’autre côté et les asthmatiques à un autre horaire… J’aime cette idée !) en s’ouvrant à des approches innovantes… On revient aussi sur les expériences de photolangage entreprises par Juliette, de la place de l’écriture pour aborder le vécu. Et d’entendre une diabétologue dire que les consultations avec les patients avec qui elle a expérimenté cela ne seront plus jamais les mêmes ! Bigre !
C’est un peu le résumé de la journée : habituellement, d’un groupe ressort une intelligence collective… à la SFD, j’ai le sentiment inverse : le mélange d’intelligences individuelles donne un résultat insipide.
Jour 4 : libéré, délivré !
Dernier jour. Je me dois de consommer un maximum avant de repartir (des présentations, pas des petits fours sur les stands, voyons, j’ai ma dignité ! J’aurai passé 4 jours sans picorer le moindre bonbon – facile, ni le moindre café – plus dur !). Alors 9h pétantes, je suis dans les travées. Je vise un atelier sur les hypoglycémies. Du repérage des situations à risque chez la personne âgée, au coût estimé pour chaque hypo sévère, cet atelier ne révolutionne rien, quoique !? L’étude du risque cardio-vasculaire associé aux hypos permet de revisiter les grandes études sur le sujet, et finalement, les conclusions sur le sujet sont aléatoires.
Autre point soulevé par une question du public : les fausses hypos de nuit sur FreeStyle, juste parce que la position du bras bloque la vascularisation du site d’implantation. Info utile : Je prends.
Je file décrocher mon poster : 4 jours d’exposition, pas de tag, pas d’arrachage ! Qui a dit que la SFD était fermée ! Il est comme neuf.
Je me dois d’aller écouter un symposium « sport et type 1 », c’est mon dada : physio du sport, bénéfices du sport, nouvelles technologies et sport… Je ne suis pas d’accord avec les recommandations de Riddell naturellement, mais le message fort c’est que les bénéfices de l’activité physique sont certains chez le type 1, alors tous en baskets !
Les cibles de glycémie en début d’activité, les compositions des collations me laissent songeur. « Débutez idéalement à 1,80, collation de 1 à 1,5g/kg/h » ! Est-ce bien raisonnable ? (Pour moi cela fait entre 16 et 20 sucres en morceau par heure, 1 kg de sucre pour un trail de 10 heures !!!). J’en doute.
« Il pleut sur Nantes… »
Le sentiment est étrange. En quittant le congrès, Je croise Delphine qui me promet qu’on se contacte bientôt. Depuis le début de ce salon, on se dit que ces 2 maladies méritent mieux que ça, que la réponse de cette société « savante », ou plutôt « sachante », n’est pas à la hauteur du péril. Il n’y pas de mauvaise volonté, pas de cynisme chez la plupart des congressistes, voire même chez les têtes pensantes, mais un sentiment de ronronnement chronique en attendant le miracle ! « Vivons heureux en attendant la mort ! »
On sent bien qu’il existe une influence passive des labos sur la ligne éditoriale. Les thèmes sont très axés nouvelles technologies, nouvelles insulines. Le modèle reste d’inspiration industrielle et tout le monde le valide, s’en contente, fait avec. Les médecins et les malades s’adaptent aux innovations, pas l’inverse.
Alors comment envisager le progrès ? Si on prend l’analogie des voitures et des problèmes écologiques, il a déjà fallu faire reconnaître qu’il y avait un problème de gaz à effet de serre lié à nos comportements de déplacements. De là les industriels ont proposé d’apporter des solutions technologiques : le turbo, le pot catalytique, même le diesel a été présenté comme une solution, puis les hybrides, c’est sans fin… Reste que ces « progrès » se construisent au sein du même modèle : le moyen de transport individuel (et où la voiture reste un marqueur social).
Certains proposent donc de changer de modèles, de considérer la politique de déplacement de façon totalement différente, en revoyant la politique urbaine, en luttant contre l’étalement périurbain, en modifiant le travail présentiel, en imaginant la gratuité des transports en commun, en considérant un droit à la mobilité plutôt qu’un droit à la bagnole. Rien ne se fait sans heurts ! Ni sans volonté politique forte ! Les premiers qui tenaient ce discours étaient pris pour des hurluberlus, et pourtant, certaines idées font leur chemin ! Il semble logique de ne pas demander au ministre de l’écologie et aux maires des grandes villes de venir parler de ces questions au salon de l’automobile. Ni de demander aux fabricants de voiture de nous dire comment nous en passer !
Le nombre de diabétique de type 2 explose ; les cartes du type 1 sont totalement rebattues, 100 ans après la découverte de l’insuline, par les nouvelles technologies, par des changements civilisationnels. Et cette maladie n’a jamais encore été sous contrôle réellement. Je fais partie de ceux qui pense qu’il faut changer de modèle, pas chercher à améliorer celui-ci.
Il faut sortir d’une vision de l’Evidence Based Medicine, quand celle-ci ferme les portes, limite l’expérimentation. L’individualisation des traitements sous-entend naturellement que ce qui est bon pour moi ne l’est pas forcément pour un autre. Mais on ne peut pas exclure une modalité de prise en charge au simple prétexte que la méthode n’est pas universelle ! Le jacobinisme a ses limites aussi.
Et l’intelligence collective peut nous permettre cela, à conditions de faire le deuil de l’ancien modèle. Bien sûr je parle d’intelligence collective, car ici ou ailleurs, personne ne détient la clé. Surtout pas moi !
On se construit surtout sur des utopies. Et dans le type 1, le pancréas artificiel ne doit pas être la seule utopie. On rêve petit je trouve !!!
Au hasard d’une conversation avec un sympathisant de l’AJD, qui ne partage pas ma méfiance vis-à-vis des labos, nous trouvons un terrain d’entente : c’est finalement assez naturel que les labos viennent nous parler des nouvelles insulines. Mais qu’ils le fassent clairement. Tout comme Steve Jobs présentait « himself » le dernier iPhone, ou sa watch, mettons des commerciaux des labos à la tribune et écoutons-les ! Mais sans contrepartie (cadeaux, repas, etc…). Je ne vois pas pourquoi un professeur d’université vient faire la promotion de tel ou tel produit. Il a une autorité naturelle et administrative qui peut masquer le caractère commercial de la démarche. On ne demande pas au CSA de faire des pubs pour Canal Plus ou TF1 ! Alors OK, le CSA en santé, c’est la HAS, mais celle-ci doit le plus souvent s’appuyer sur les avis des sociétés savantes.
Revolution is coming.
Les contacts se multiplient, les volontés de changer sont là.
Les méthodes pour parvenir au changement ne font pas l’unanimité. Je suis et reste un médecin, attaché aux bonnes pratiques. Malgré mon ton ironique, je conserve ma reconnaissance à chaque soignant, et mon admiration à chaque malade. Je continue à penser que ma place est autant dehors que dedans. J’espère que ce poster aura été vu par quelques-uns qui se poseront peut-être quelques questions sur nos certitudes collectives.
Nous sommes au Moyen Âge, tout est à découvrir ! Il existe des scotomes dans la science (ces fameux points noirs dans le champ visuel, qui nous empêchent de voir tout le panorama !). Ne fermer aucune porte, ne négliger aucune contribution à la science, s’appuyer sur d’autres compétences, sur les sciences humaines, sur les autres disciplines médicales, sur la santé publique ! Il faut aussi garder en tête les enjeux financiers : Banting et ses compagnons avaient renoncé à une fortune certaine, pour que l’insuline ne soit pas brevetée et que le plus grand nombre en profite ! Redonner son caractère réellement universel à ce médicament magique serait une belle manière de leur rendre hommage.
Et merde, j’ai oublié mon poster dans le métro !
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